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FIFDH GENÈVE 2022

Critique : Jungle rouge

par 

- Ce drôle de film d’animation par Juan José Lozano et Zoltán Horváth est à la croisée des chemins entre Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad et Vous avez un message

Critique : Jungle rouge
Vera Mercado, Alvaro Bayona et Patricia Tamayo dans Jungle rouge

Le film franco-suisse Jungle rouge [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
]
de Juan José Lozano et Zoltán Horváth, un titre inspiré de la vie du guérillero Raúl Reyes (le second commandant des FARC, abattu par l’armée colombienne en 2008) qui a été projeté au FIFDH de Genève, fait l'effet d’être un récit de plus évoquant Au cœur des ténèbres. De nouveau, on a affaire à un homme aveuglé par son pouvoir, qui crée son propre petit royaume loin du monde. De nouveau, celui-ci perd lentement prise sur le réel, comme si sa santé mentale était dévorée par la jungle qui l’entoure. Cependant, il y a un autre élément clef : le film s'inspire aussi de plus de 11 000 e-mails trouvés après sa mort.

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La décision de les intégrer au film, et de le faire à ce point, est un peu étrange : à un moment du film, Reyes (Alvaro Bayona) donne l'impression d'être plus investi dans ses conversations virtuelles avec les grands acteurs du conflit (messages qu’il conclut par les mots "considérations révolutionnaires") que par la réalité de sa communauté. C’est là, dans ses e-mails, qu'il exprimait sa lecture personnelle, beaucoup plus positive, de la situation, et où il se décrivait comme un leader stable. Il devient accro à ces messages, pourrait-on dire, de sorte que quand son ordinateur portable se casse, ça le contrarie davantage que la mort du camarade qui portait l'objet sur son dos. Le film ne traite pas tant des courriels en tant que tels (courriels surchargés de détails au point d'en devenir ennuyeux) que des mensonges que les êtres humains se racontent constamment les uns aux autres, encore et encore – seule la méthode change. Tom Hanks et Meg Ryan, en s'ouvrant l'un à l'autre en ligne, dans Vous avez un message, se sont vraiment trompés.

Une autre décision intéressante, mais aussi troublante, de la part des réalisateurs, est le choix du mélange film/animation. On ne la comprend que plus avant dans le film, quand ce recours sert à exprimer la manque de confiance croissant au sein du groupe, ainsi que leur fatigue extrême et peut-être leur folie. L’animation permet de transcender chaque univers plus facilement, et à mesure que Reyes s'affaiblit, son esprit se met à divaguer. Différentes techniques illustrent les séquences de rêve ou d'accès de mégalomanie, mais cela rend aussi Jungle rouge un peu plus facile à suivre. Plusieurs scènes (de celle où un serpent grignote un gentil chien à celle où un singe se fait rageusement poignarder) pourraient faire remuer le spectateur dans son siège si elles ne baignaient pas dans un flou radial qui est ici le bienvenu. Ceci étant dit, elles vont tout de même en décourager certains.

“Tout dans ce film est vrai, ou presque", est-il annoncé, et c’est de bonne guerre. Quoique ces événements soient relativement récents, la jungle a indéniablement préservé les secrets de certains de ces individus, mais il y a tellement de choses à déballer que cela en devient fatigant à la fin, surtout que ces gens s’accrochent à l’idée d’une révolution tout en admettant qu'une partie du projet ne marche pas. Il y a toute une partie consacrée à une femme qui se plaint des agressions sexuelles d’un autre camarade pour s’entendre dire, tout simplement : "C’est normal que les hommes nous désirent". Même Reyes tend à s'entourer de femmes de confiance, et s'attend à ce qu'elles professent leur admiration de temps en temps. S'il a pu y avoir un espoir de changer les dynamiques de genre, c’est un échec, et si Lozano et Horváth ouvrent leur film sur des scènes de bonheur idyllique, ils le concluent par des torrents de pluie.

On aurait du mal à dire exactement quel est l’objectif de cette histoire, si l'idée est de discréditer une figure polémiquée ou d'examiner un cas d'espèce de plus de la situation classique par laquelle quelqu'un part avec de nobles idéaux pour basculer dans la brutalité. Quoi qu'il en soit, le film fonctionne mieux quand on se concentre sur les petits détails, les petites observations qui n’ont même pas besoin d’être soulignées explicitement. Quand la trahison s'immisce dans leur univers déjà fracturé, Reyes dit à son bras droit/sa maîtresse Gloria (Vera Mercado) de "résoudre ce merdier" tout en restant tranquillement où il est, à faire claquer du papier bulle. Rien que pour cette scène, ce film vaut la peine d'être vu.

Jungle rouge est une coproduction franco-suisse qui a réuni les efforts d'Intermezzo Films, Nadasdy Film et Dolce Vita Films. Les ventes internationales du film sont gérées par Urban Distribution International. En France, il sera distribué par New Story ; en Suisse par Praesens Film AG.

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(Traduit de l'anglais)

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