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EUROPE

Quel niveau de contributions financières des plateformes à la création ?

par 

- La référence française au cœur d’un bilan d’étape européen de la transposition de la directive SMA à l’occasion d’un colloque organisé par le CNC

Quel niveau de contributions financières des plateformes à la création ?
Jean-Baptiste Gourdin, directeur général des médias et des industries culturelles au Ministère de la Culture, lors du colloque (© Ministère de la Culture)

Organisée par le CNC à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, le colloque "L’indépendance au service de la création" a notamment dressé un bilan d’étape de la transposition et de la mise en oeuvre de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) conçue afin de réguler l’activité des plateformes SvàD. Les grands principes de la directive : un quota de diffusion de 30% des œuvres européennes et la possibilité par les pays de destination d’imposer des obligations financières en faveur de la création audiovisuelle et cinématographique. Or, sur les 27 pays de l’Union européenne, 16 n’ont mis en place aucune obligation financière et pour les 11 s’étant saisi de cette possibilité, les taux appliqués sont très disparates, allant de 1,5% du chiffre d’affaires à 20%-25% pour les pays les plus en pointe, la France et l’Italie. Des différences spectaculaires qui font de la France une référence dont Jean-Baptiste Gourdin (directeur général des médias et des industries culturelles au Ministère de la Culture) a expliqué les tenants et les aboutissants. Morceaux choisis.

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"Quel était l’enjeu de cette transposition vue de la France ? Pas tellement de contraindre les plateformes mondiales, américaines en particulier, à investir dans la production locale car elles n’ont pas attendu la directive SMA pour investir dans la production européenne et dans la création française : elles ont bien compris que c’était leur intérêt économique, une demande de leurs abonnés. Elles commençaient à le faire, elles allaient le faire de toutes façons. L’enjeu était d’abord d’ancrer cette stratégie d’investissement dans la durée parce qu’on n’est jamais à l’abri qu’un acteur très puissant commence, pour entrer sur un marché, par investir dans la création locale, puis décide ensuite de changer sa stratégie et de recentrer ses investissements sur des œuvres formatées pour le public mondial. Plus fondamentalement, il fallait assurer la diversité de la création, linguistique avec tous les sous-quotas d’œuvres d’expression française, mais aussi en termes de genres de programmes, de budgets : que les investissements bénéficient non seulement à la fiction audiovisuelle, aux séries qui concentrent tous les appétits, mais également au cinéma (c’est-à-dire les films qui sortent d’abord en salles), à l’animation, au documentaire, etc. Le deuxième enjeu était de protéger l’indépendance de notre création en fléchant une part importante de ces investissements vers la production indépendante (avec une définition exigeante puisqu’il ne s’agit pas seulement de l’indépendance capitalistique  par rapport au diffuseur, mais de nombreuses conditions qui tiennent à une notion de production déléguée, à des critères de nature et d’étendue des droits d’exploitation) : faire en sorte que  que nos producteurs européens ne soient pas progressivement relégués au rang de sous-traitants, de fournisseurs des plateformes, et leur permettre de continuer à constituer un actif patrimonial qui est la condition sine qua non pour qu’ils continuent à investir et à prendre des risques. Enfin, le troisième enjeu, c’est défendre notre conception à la française, à l’européenne, du droit d’auteur avec une notion de rémunération proportionnelle, à rebours du modèle dit de "buy out"."

"Nous avons fait le choix d’un haut niveau de financement de la création avec des taux élevés par rapport à ce qu’on peut trouver dans d’autres États européens. Mais ce choix n’est pas fondé sur une logique de taxation des acteurs étrangers ou dans une intention de favoriser nos acteurs nationaux par rapport à eux, mais bien sur la nature même de ces plateformes et leurs spécificités en termes de positionnement éditorial et de modèle économique. D’ailleurs ces taux de 20%-25% sont à relativiser car ils représentent à peine plus de 1% des 17 Md€ d’investissements mondiaux de Netflix dans la création, alors que les abonnés français représentent environ 4% des abonnés Netflix dans le monde entier et sans doute un peu plus en termes de contribution à leur chiffre d’affaires. Donc ce n’est pas disproportionné ou injustifiable économiquement. C’est vrai que cela représente une manne, mais pour autant nous n’avons pas décidé de baisser les contributions financières des acteurs historiques. On a considéré que le choix d’une logique malthusienne qui consisterait à opérer un jeu de vases communicants en baissant les obligations des acteurs traditionnels grâce à l’augmentation des nouveaux financements, serait un choix assez mortifère à long terme. Car notre conviction est qu’il est indispensable que ces médias dit traditionnels (la TV gratuite et payante) restent un pilier de notre financement pour des raisons de diversité culturelle (on a besoin d’une pluralité de financeurs pour assurer la diversité de la création), d’accès gratuit à la culture (parce que ce n’est pas le choix de la France que les œuvres soient réservées à des abonnés à des plateformes payantes) et de souveraineté culturelle (car ce n’est sans doute pas un très bon choix que de faire dépendre tout le financement de notre création de plateformes mondiales)."

"On va voir demain de nouveaux acteurs arriver qui ne viendront pas forcement des mêmes territoires et des acteurs existants diversifier leurs modèles et aller sur d’autres registres de programmes comme ils ont commencé à le faire."

"Pour les quotas des catalogues, les arguments qu’on nous a opposés, c’est-à-dire le risque de fragmentation ne nous paraissent pas totalement convaincants car en réalité, les catalogues sont fragmentés pour de nombreuses raisons qui tiennent aux goûts des publics, à la chronologie des médias, à la territorialité des droits. Donc le principe du pays cible appliqué aux quotas de catalogues n’est pas invivable.  Mais ma conviction, c’est que les quotas, la fameuse règle des 30%, c’est presque déjà un débat d’arrière-garde. Le vrai sujet aujourd’hui n’est plus la disponibilité des œuvres européennes, c’est leur "découvrabilité", leur visibilité. Il y a sur ce point des éléments dans la directive SMA dont on n’a pas encore tiré toute la potentialité : la question des algorithmes de recommandation. C’est extrêmement compliqué, ce sont des mécaniques opaques, qu’on peut très difficilement auditer, qui sont protégés par le secret des affaires, mais là est le cœur du sujet. Et il y a aussi la question de la mise en avant des services d’intérêt général car en amont de la découvrabilité des œuvres, il y a la "découvrabilité" des services. Là ce n’est plus la question des plateformes, des éditeurs comme Netflix ou Amazon, mais la question des interfaces : savoir si demain on pourra encore accéder efficacement à une diversité de services et si on saura à quel service on accède. Est-ce que nous n’aurons pas, au-dessus des éditeurs, des agrégateurs qui vont écraser les marques éditoriales ? Cela, c’est un risque encore plus majeur pour notre création.

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