09/11/2021 - Kieron J. Walsh plonge en fiction au cœur du cyclisme professionnel et des coulisses parfois délétères d’une équipe du Tour de France, dans le sillage d’un gregario au crépuscule de sa carrière

"La victoire appartient au coureur qui encaisse le mieux la douleur." C’est sur cette citation du champion cycliste Eddy Merckx que s’ouvre L’équipier [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Kieron J. Walsh
fiche film] de Kieron J. Walsh, projeté dans la section Découvertes européennes au 22e Arras Film Festival. Mais au royaume de "la petite reine" et dans son plus célèbre château, le Tour de France, le dépassement de soi inhérent aux performances quasi surhumaines exigées par le plus haut niveau des ‘forçats de la route" a souvent surfé (de Simpson à Armstrong, en passant par Pantani et tant d’autres) sur une houle médicamenteuse frelatée afin de donner davantage de carburant à la chaudière des jambes et d’attiser le feu pour rouler toujours plus vite et plus longtemps.

C’est sous l’angle du "gregario", du domestique, cet équipier chargé de protéger son leader, de lui amener ses bidons de ravitaillement, de l’abriter du vent, voire de le propulser vers la ligne d’arrivée bien à sa place dans le fameux "train" des sprinteurs, que le film décortique en fiction le fonctionnement interne d’une équipe de top niveau mondial en pleine époque de dopage généralisé à l’EPO, soit en 1998, lors des trois premières étapes du Tour de France délocalisées en Irlande. Une immersion doublée par la problématique de la fin de carrière guettant le protagoniste, Dominique Chabol (le Belge Louis Talpe), ancien grand espoir de son sport devenu à 38 ans le capitaine de route de l’équipe Estrange et la "nounou" (de jour comme de nuit) de son leader Lupo "Tartare" Marino (Matteo Simoni).

Pour Dom, le compte à rebours est lancé et, à la veille du départ, de sérieuses incertitudes planent sur le renouvellement de son contrat. Un crépuscule qui le remue secrètement en profondeur ("le cyclisme, c’est mon métier. Sans vélo, je ne suis rien, ni personne"), d’autant plus que sa sœur lui apprend le décès de leur père et qu’il renonce à se rendre à l’enterrement car "c’est le Tour" et peut-être même son dernier. Plongé dans le quotidien ritualisé de l’équipe (repas, étapes, hôtels, séances de transfusion illicites, réveils angoissés en pleine nuit où il faut s’activer en urgence pour éviter une thrombose provoquée par l’EPO, jeu de chat et de la souris pour tromper les contrôles anti-dopage, etc.), Dom oscille entre des états d’âme paradoxaux, entouré par un vieux démon (son vieux complice et ami le soigneur Sonny incarné par Ian Glen) et un jeune ange (la jolie docteur Lynn Brennan - interprétée par Tara Lee – avec qui il a une aventure). Et une idée le titille : s’il sortait de son rôle d’équipier modèle pour gagner une étape ?

Simple et efficace, L’équipier (dont le scénario a été écrit par Ciaran Cassidy, Kieron J. Walsh et Sean Cook) est un film qui documente très bien les méandres d’un univers sportif superposant une machine ultra hiérarchisée (avec ses différentes pièces humaines) et une sorte de famille avec ses affects, ses instants de partage, ses souvenirs communs et ses secrets (dont les moins reluisants). Un petit monde clos de passionnés semblable à un cirque itinérant et où on ne fait pas de cadeau, mais dont le cinéaste expose les travers sans jamais jouer au moraliste, sachant rendre attachant tous ses personnages et donner au spectacle du peloton fendant la route un aspect crédible.

Produit par les Irlandais Blinder Films avec les Luxembourgeois de Calach Films et les Belges de Caviar Films, L’équipier est vendu à l’international par les Britanniques de Independent. Le long métrage sera distribué en France le 22 juin 2022 par Epicentre Films.