04/10/2021 - Ce documentaire collectif (et militant) suisse s’impose comme un cri contre les stéréotypes de genre

Le documentaire collectif Les Nouvelles Èves, réalisé par Camille Budin, Annie Gisler, Jela Hasler, Thaïs Odermatt, Wendy Pillonel, Anna Thommen et produit par Judith Lichtneckert et Liliane Ott, a été présenté parmi les séances spéciales du Festival de Zurich. À travers leur regard lucide et sagace, les six réalisatrices suisses ou suisses d'adoption ont amené le public à réfléchir sur le concept de "féminité" en tant que construction sociale. Un cri de bataille contre le patriarcat qui cherche à tout prix à préserver ses privilèges décadents.

Un an après la grève nationale des femmes en Suisse, le débat sur la parité reste brûlant d'actualité. Dans Les Nouvelles Èves, les réalisatrices enquêtent sur le quotidien d'autant de femmes de milieux professionnels et familiaux différents pour essayer de comprendre ce que signifie aujourd’hui porter l'étiquette de "femme". Grâce à un intéressant effet de va-et-vient entre les six portraits, les réalisatrices parviennent à mettre virtuellement en relation ces "héroïnes du quotidien", comme elles les appellent, car ces six femmes se battent consciemment contre les stéréotypes de genre, contre un scénario grotesque que la société patriarcale voudrait qu’elles interprètent sans se poser de question.

Quelles sont les manières d’échapper à une prison qui voudrait formater les "femmes" en les transformant en des êtres dociles et soumis ? Comment faire pour se démarquer en tant qu’individu dans une société qui considère le binarisme de genre comme une grotesque évidence ? Les Nouvelles Èves observe avec tendresse et empathie ces "femmes" qui ont décidé de se rebeller contre les normes liées à leur sexe, six individus résolus à exprimer avec courage leur identité propre, en pensant à elles-mêmes et non pas aux attentes d’une société qui les a étiquetées dès leur naissance.

Les six réalisatrices laissent la parole à leurs sujets en évitant d’intervenir avec des commentaires qui affaibliraient peut-être leurs témoignages. Le cinéma devient, grâce au regard à la fois lucide et bienveillant qu'elles portent sur leurs "héroïnes du quotidien", une sorte de scène qui accueille les voix dissidentes. La parole se libère, offrant à des personnes qui en sont trop souvent privées l’opportunité d’exprimer une individualité suffoquée par un patriarcat qui tente de faire taire quiconque ne suit pas les règles. La route à faire est encore longue, mais Les Nouvelles Èves nous montre qu’une réalité qui transcende les stéréotypes de genre est possible, et même nécessaire. Vivre sa vie sans s’occuper du regard des autres devient un acte militant, un premier pas nécessaire vers la reconnaissance d’une identité qui ne sera plus étouffée par les stéréotypes

Malgré la sincérité, et le caractère indéniablement nécessaire de ce film qui dépeint courageusement le quotidien de six "nouvelles Èves" aux prises avec une société qui les voudraient toutes identiques, le film aurait peut-être dû mettre en avant avec plus de détermination le concept de binarisme de genre en tant que construction sociale. Il serait intéressant d’aller au-delà du sacro-saint et nécessaire débat sur la parité homme-femme en montrant à quel point le spectre des possibilités et des luttes à mener en termes d’identité de genre est large et varié, et certainement pas exclusivement binaire. Proposer par exemple le portrait d’une femme trans aurait permis de mettre l’accent sur les stéréotypes dangereux et hélas trop banalisés liés l'idée d'une "féminité" innée et naturelle.

Les Nouvelles Éves a été produit par la société zurichoise Emilia Productions (quitte en gère aussi les ventes internationales) en coproduction avec SRG SSR. Le film a eu le diplôme du concours Migros-Kulturprozent CH-Dokfilmwettbewerb 2021.

(Traduit de l'anglais)