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INDUSTRIE / MARCHÉ Suisse / France

Jean-Luc Godard parle de langage, d'information, de virus et de semantique sur Instagram Live

par 

- Lionel Baier de l'ECAL Université d'Art et Design en Lausanne parla au réalisateur légendaire pendant plus de 90 minutes

Jean-Luc Godard parle de langage, d'information, de virus et de semantique sur Instagram Live

Bien qu’il ai déjà eu à faire à de la technologie similaire, le légendaire réalisateur français Jean-Luc Godard a surpris tout le monde ce Mardi quand il est apparu sur Instagram Live, en conversation avec Lionel Baier, responsable du Département Cinéma à ECAL, l’Université d’Art et de Design en Lausanne, la ville Suisse ou le réalisateur réside. Baier et Godard, ainsi que son fréquent collaborateur Fabrice Aragno, etaient en realite tous dans la même pièce chez Godard lui-même, Baier et Aragno dotés de masques qui, comme l’a noté le cinéaste, leur donnaient l’air de personnage tirés des peintures de James Ensor.

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La longue conversation, qui toucha un grand nombre de sujets, dura plus de 90 minutes, et était regardée à chaque moment par près de 4000 spectateurs. Bien que la plupart des commentaires exprimaient simplement de la gratitude envers le réalisateur et l'école pour avoir rendu cette figure mythique du cinéma si directement accessible, la conversation elle-même fut aussi complexe que les films les plus récents du cinéaste.

Godard rapprocha le virus qui cause cette crise sanitaire actuelle à l’information, expliquant “le virus est une communication, il a besoin d’un autre… quand on envoie un message même sur un réseau, on a besoin de l’autre pour rentrer chez lui.” Cette idée de réciprocité dans la communication l’a vite amené au sujet du langage lui-même, évidemment un des favoris du réalisateur d’Adieu au Langage.

Repondant a Baier sur la question du changement des journaux télévisés en ces temps de confinement, forcés de presenter les nouvelles depuis chez eux, le réalisateur Français rappela la nature inévitablement faussée des propos des journalistes, qui non seulement lisent les propos écrits par d’autres, mais dont les propos eux-mêmes ne sont pas, d'après sa définition, du langage mais de la langue — essentiellement des mauvaises photocopies de langage.

En effet, pour Godard, le langage est “un mélange de parole et d'image”, et c’est un manque d’image dans la langue utilisée par les journalistes et les hommes politiques qu’il déplore.

L’usage de la langue a toujours fascinée le cinéaste, puisqu’il dit avoir “cessé de parler pendant un ou deux ans” quand il avait environ 15 ans, inquiétant sa famille, après avoir lu Recherche sur la Nature et les Fonctions du Langage de Brice Parin. Mais ce refus de parler n’a heureusement pas duré, et à ces mauvais usages de la langue, le réalisateur oppose les bons: ceux des “ trois quarts des bons écrivains [...] qui font autre chose que le commun des mortels avec la langue,” ainsi que des peintres, “qui n’ont jamais fait une copie.”

Ce qui transparu donc plusieurs fois a travers cette conversation fut un rejet de l'idée que la langue et les mots devraient être des copies de la réalité, ainsi qu’un profond désir de retourner à un alphabet pictorial, qui se rapprocherait de la peinture: “Je ne crois plus tellement à la langue. Je pense que ce qui ne va pas — mais comment le changer? — c’est l’alphabet. Il y a trop de lettres, il faudrait en supprimer beaucoup, et après passer à autre chose chose, ce qu'ont toujours fait les peintres.”

Evidemment, Godard fut rapide a relier ce rejet de la copie à la photographie — cette capture, ou copie, du réel — et donc au cinéma: “Quand [Nicéphore] Niépce a inventé la photographie, il ne pensait pas qu’il faisait une copie”. Mais le réalisateur reconnut aussi la part scientifique que cela confère au cinéma: comme les cinéastes, les scientifiques “cherchent, et ils ont un oeil, sur un microscope ou sur les dessins.” Comme lui, ce sont des personnes d’actions et non de mots. La difference, pour Godard, tient en ce que les scientifiques, eux, doivent retomber dans la langue, “s’empêtrer dans les mots et les chiffres.”

Le cinéma, quant à lui, “permet d'être un peu plus polyvalent”, de mélanger une approche scientifique et artistique, et il dit être content d’avoir trouvé le cinéma comme une sorte d’antibiotique à la langue. Discutant son mélange de bouts de films, de littérature, de peinture, il cita Robert Bresson: “Rapprocher des choses qui n'ont pas de rapports entre eux.”, expliquant que Notes sur le Cinématographe était “un vrai bréviaire pour nous à l'époque.” Cependant, prudence: il encouragea tout de même ceux qui font encore du cinéma a se demander “ce que ne s’est peut être pas demandé Niépce: pourquoi est-ce que je veux reproduire un souvenir de ca?”, et donc a ne pas tomber dans la copie bete et mechante.

En addition à ces réflexions complexe sur le langage et le cinéma s'ajoutaient plusieurs anecdotes et remarques tour à tour touchantes, cinglantes et amusantes sur la carrière de l’auteur, notamment un rafraichissement de nos mémoires, toujours bien venu, a propos de ce qu’est exactement la ‘politique des auteurs’: “C'était par rapport aux sociétés de production, qui pensaient que de même qu’il y avait des auteurs de livres, il y avait des auteurs de films, et que l’auteur d’un film était le ou les scénaristes. Et nous on a dit, non, c'est le metteur en scène, qu’il soit bon ou mauvais.” Avec une addition cruciale, souvent bien oubliée: “Ensuite, et je le pense toujours, il n’y a pas besoin de penser ‘auteur’ avec tous les droits, les prérogatives et les célébrations qui vont souvent avec.”

Un autre changement depuis la Nouvelle Vague fut son opinion, assez provocatrice, sur l’enseignement du cinema: “A l'époque de la Nouvelle Vague, je pensais qu’il fallait enseigner le cinéma dans les universités. Aujourd’hui, en France, il faut Bac + je sais pas combien, alors je dis restez chez vous!” 

Quand Baier lui demanda si ses amis de la Nouvelle Vague lui manquaient, Godard répondit immédiatement que oui, beaucoup, “parce qu’on parlait beaucoup. Maintenant quasiment plus. On parle des films, quand il y a un film à faire.” Puis, il réalisa, avec un sourire, “au fond, non, c’est pareil, parce qu’on ne parlait pas du tout de nos vies personnelles, avec [François] Truffaut ou [Jacques] Rivette, sauf un peu avec [Éric] Rohmer!” Il semble en effet que ce qui les réunissait vraiment était le cinéma, car il continua: “On allait beaucoup au cinéma à l'époque, chacun a sa maniere. Rivette, il pouvait rester un après-midi à revoir les films quatre fois. Moi, je voyais quatre ou cinq films par jour, des bouts. C'était une autre manière de faire. On était une équipe, quand meme; même [Claude] Chabrol.” — bien qu’il ne considère pas ce dernier ait jamais été un auteur.

Enfin, il parla de son prochain projet, qui semblait deja bien avancé a vue de tous les crayons et papiers visibles dans son salon. Ce nouveau film, qui imaginera “que la directrice de l'opéra bastille est la reine de Saba”, inclura des extraits de musiques pré-existantes connues telles que Bizet, mais aussi de la musique originale composée pour le film — ce que le réalisateur n’a pas fait depuis plusieurs années.

La conversation entière peut être visionnée sur Youtube

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