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LOCARNO 2019 Cinéastes du présent

Critique : Overseas

par 

- Yoon Sung-a dresse le portrait d’une immigration économique au féminin peu visible, celle des jeunes Philippines qui s’exilent au service de riches étrangers pour nourrir leur famille

Critique : Overseas

Yoon Sung-A s’est faite remarquée en 2008 avec la sélection de son court métrage Et dans mon coeur j’emporterai à la Cinéfondation à Cannes. Overseas [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Yoon Sung-A
fiche film
]
est son deuxième long métrage documentaire, après Full of Missing Links, sorti en 2012. Il est sélectionné cette année au Festival de Locarno dans la section Cinéastes du présent. Elle y aborde le sort peu connu des OFW (Overseas Filippino Workers), ces femmes jeunes et moins jeunes qui choisissent de s’exiler parfois pendant plusieurs années sans rentrer au pays ni revoir leur famille pour gagner de quoi nourrir leurs proches. Des jeunes femmes surnommées par le président philippin Duterte "les héroïnes de notre nation".

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Ce n’est pas sans ironie que les jeunes femmes dont Yoon Sung-A fait le portrait s’étonnent qu’en abandonnant leur famille, elles se distinguent en tant qu’héroïnes, au même titre que des soldats défendant leur pays. Elles sont bien conscientes que la servitude qu’elles embrassent auprès de populations du globe plus fortunées permet d’alimenter le pays en devises étrangères puissantes, et représente une force économique non négligeable.

Héroïnes aux yeux du pays, héroïnes aussi d’une comédie domestique mondialisée, où les travailleuses s’exportent comme des marchandises. Les Philippines entretiennent une véritable filière des employées de maison, des employées efficaces et dociles, motivées par la perspective de gagner à l’étranger le double voire le triple de ce quelles pourraient espérer gagner dans leur pays.

Overseas nous entraine le temps de quelques jours au coeur d’un centre de formation spécialisé, sorte de salle d’attente de l’exil, antichambre du départ et du déchirement familial qui les attend.  Les jeunes femmes y apprennent l’art de servir autrui, au sein d’une maison reconstituée. Comment mettre le couvert, s’occuper des enfants, s’adresser aux maîtres·ses de maison. Mais elles apprennent aussi - et peut-être même surtout - à faire face aux possibles brimades, réprimandes, agressions ou autres harcèlements dont elles pourraient être victimes.

Et c’est justement cet apprentissage, et sa mise en scène au sein de la formation qui offre au film une dimension si particulière. Il passe par des jeux de rôles où les élèves incarnent tour à tour les employées de maison et les employeurs. Parmi les jeunes femmes, certaines ont déjà vécu à l’étranger, et les voir rejouer des saynètes de leur vie quotidienne à Dubaï, Oman ou Hong Kong, permet tout à la fois de les voir en position dominante, et de donner à voir la réalité de la vie outremer.

Car contrairement à ce que pourraient laisser penser les centaines de piles de dossiers qui s’amoncellent dans les couloirs de l’administration, tout juste identifiés par des dates et des lieux, les héroïnes d’Overseas ne sont jamais réduites à leur statut d’esclaves modernes. Loin d’être les victimes passives que leur emploi pourrait laisser supposer, elles sont actrices de leur propre vie (d’où la puissance de la mise en abîme), maîtresses de leur avenir. Car toutes nourrissent des espoirs, en plus de nourrir leurs familles. L’une se rêve architecte, l’autre veut ouvrir un restaurant de pâtes.

C’est cette tension paradoxale entre la bienveillance des formatrices et le contenu de leur enseignement (apprendre à subir les violences et les spoliations), entre l’ici (leur maison, leur famille) et l’ailleurs (qui rend possible la vie au pays), la force vitale de ces jeunes femmes et leur immense vulnérabilité au sein des foyers où on les expédie comme de la marchandise qui fait la puissance de ce documentaire en quasi huis clos, au coeur d’une fabrique d’ouvrières mondialisées.

Overseas est produit par la société belge Iota Production et la société française Les Films de l'Oeil Sauvage, et coproduit par les Belges de Clin d'oeil Films. Le film est vendu à l’étranger par CAT&Docs.

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