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LOCARNO 2021 Compétition

Aurélia Georges • Réalisatrice de La Place d'une autre

“En tant que femmes, nous avons gagné plus d’espace et de liberté, mais les corsets peuvent prendre différentes formes”

par 

- Dans le film qu’elle a présenté en compétition à Locarno, la réalisatrice parisienne se concentre sur les femmes et juste les femmes

Aurélia Georges • Réalisatrice de La Place d'une autre

La vie n'a pas fait de cadeau à Nelie (Lyna Khoudri), mais elle continue de faire ce qu'elle peut, notamment en devenant infirmière sur le front en 1914, en première ligne. Quand une autre jeune femme, d'un milieu plus privilégié, meurt sous ses yeux, elle décide de voler son identité et devient lectrice pour Madame de Lengwil (Sabine Azéma). Là, elle se sent enfin à sa place. Nous avons interrogé Aurélia Georges sur son film La Place d'une autre [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Aurélia Georges
fiche film
]
, présenté en compétition au Festival de Locarno.

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Cineuropa : Les interactions les plus importantes du film, les relations, même, se passent entre des femmes. Ce qui reste assez peu habituel, n’est-ce pas ?
Aurélia Georges :
On aurait pu ajouter une histoire d’amour, car il y en avait une dans le roman originel [The New Magdalen de Wilkie Collins] que, du reste, j'aimais beaucoup. Donc la tentation était là mais ensuite, avec ma co-scénariste Maud Ameline, nous nous sommes rendu compte que l’amour, ou même une liaison amoureuse avec un homme, est quelque chose que Nelie ne peut pas se permettre d’avoir. Elle doit s’occuper de tant d’autres choses. Il y a des émotions dans le film, mais pas d’histoire d’amour à proprement parler, et j'aimais l'idée que ces trois personnages féminins doivent gérer leur vie sans hommes. Même si à l'époque, il y a cent ans, c’était évidemment beaucoup plus dur.

C’est vraiment un récit sur la survie, surtout dans le cas de Nelie : elle assume une série de rôles, de prostituée à infirmière, sans se retourner.
Elle sait très bien s’adapter. Elle accepte sa situation et essaie d’aller de l’avant, que ce soit en faisant la servante ou la prostituée – ce dont on peut comprendre que c'est une chose qu’elle a déjà faite avant. Elle continue d’aller de l’avant et à un moment, elle a besoin d'un endroit où se poser. Elle a besoin d’une place dans le monde, un endroit juste à elle. Et quand elle le trouve, il se trouve que c’est une maison bourgeoise avec laquelle elle n’a rien à voir, sauf qu’elle sait lire, ce qui lui permet d'avoir accès à cette vie, presque comme par magie. Je crois que c’était l’idée quand le roman a été écrit, quand l’éducation a commencé à se démocratiser. Les gens se sont rendu compte qu’ils pouvaient être ensemble à travers les livres et les histoires ; ils allaient pouvoir se laisser embarquer dans tous ces voyages imaginaires.

Lyna Khoudri a récemment joué dans The French Dispatch [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film
]
, elle a un visage assez poupin. Compte tenu de ce que vit son personnage, trouviez-vous ce contraste intéressant ?
Exactement : elle a un visage d'enfant très émouvant, un air d'innocence, même si Nelie ne se comporte pas toujours de manière aussi innocente que cela. On comprend pourquoi les autres personnages la croient. Peut-être que c’est ça qui rend l'ensemble plus douloureux. La vie est dure, et quand toutes ces choses arrivent à quelqu’un comme elle, ça vous brise encore plus le cœur.

Quand une domestique quitte la maison, dans le film, son seul voeu est que son enfant à naître ne soit pas une fille. "Nous sommes nées pour souffrir", dit-elle. On pourrait encore entendre cette phrase aujourd’hui, dans tellement d’endroits et de pays.
Je savais que je ne pouvais pas être complètement réaliste. Comment aurais-je pu montrer l’expérience de se prostituer dans les rues de manière réaliste ? Je ne pourrais pas supporter de voir ça. Mais la souffrance était là, partout. À commencer par les corsets, que les femmes devaient porter tout le temps, qui restreignaient leurs corps. I y a cette longue scène, dans le film, avec une chanteuse, et elle devait aussi en porter un, et tout d’un coup, elle ne pouvait plus respirer comme elle en a l'habitude quand elle chante. Je pense que nous avons gagné en espace et en liberté, mais les corsets prennent des formes différentes, vous voyez ? On peut parler de corsets de pouvoir, de corsets de l’esprit, de corsets du regard. Pour beaucoup, ils prennent encore des formes physiques : on dit à des femmes ce qu'elle doivent porter pour survivre, Ça semble fou, de penser que nous avons toujours toutes ces contraintes.

Vous montrez deux femmes qui sont très différentes, que ce soit en termes d'âge ou de milieu, et pourtant elles trouvent refuge l’une en l’autre, même si elles n'arrivent pas vraiment à l’exprimer au début.
Il y a chez elles de la pudeur. Elles ne peuvent même pas se toucher ! Ce n’est que quand quelque chose d’inattendu se passe que Sabine prend enfin Lyna dans ses bras, car elle est terrifiée à l'idée qu'elle aurait pu la perdre. À l'époque, il fallait garder ses distances, et on ne pouvait pas exprimer ce qu'on ressentait. Mais ces sentiments sont authentiques. Je voulais que le spectateur remarque cette distance physique entre elles, les situer dans un espace identifiable, mais j’essayais aussi de montrer la présence des corps, les tissus et les couleurs. J’ai pensé au plaisir que cela fait, d'être emmené ailleurs par une histoire, de voyager dans le temps.

Toute cette idée de vol d’identité est compliquée, parce que ça pourrait facilement faire feuilleton et exagéré. Ici, cependant, ça fait réfléchir à la notion de classe.
Le personnage qui dit à Nelie qu’elle ne pourrait jamais être "comme eux" a tort. Elle fait erreur sur ce qu'est vraiment la noblesse. C'est quelque chose qui a à voir avec le coeur, pas avec la classe sociale à laquelle on appartient. À vrai dire, je voulais que certaines scènes soient exagérées. Il y a des moments et des gestes théâtraux que j’avais envie de garder – et puis au bout du compte, un film, c’est aussi du spectacle. J’adore quand ça devient un peu excessif, même s'il faut être prudent, car on peut s'aliéner les spectateurs. Je voulais créer quelques surprises, comme ça.

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(Traduit de l'anglais)

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