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LOCARNO 2021 Piazza Grande

Stefan Ruzowitzky • Réalisateur de Hinterland

“Mon personnage central sent que le monde est tordu et déformé ; les expressionnistes allemands voulaient communiquer la même chose”

par 

- Le nouveau film du cinéaste autrichien, sélectionné à Locarno dans la section Piazza Grande, montre le paysage après la Première Guerre mondiale

Stefan Ruzowitzky • Réalisateur de Hinterland
(© Heinz Zeggl)

Après la Première Guerre mondiale, rien n’est plus pareil, certainement pas l’endroit que Perg (Murathan Muslu) appelait avant son chez lui. Mais quand un tueur en série pointe le bout de son nez dans une ville ravagée, il se sent la nécessité d'arrêter ce meurtrier, au lieu de traiter de front son sentiment d’échec. Nous avons interrogé Stefan Ruzowitzky sur Hinterland [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Stefan Ruzowitzky
fiche film
]
, qu’il a présenté sur la Piazza Grande du Festival de Locarno.

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Cineuropa : Votre intro animée rappele l’expressionnisme allemand, mais vous collez à cette esthétique tout au long du film !
Stefan Ruzowitzky :
L’autre jour, j’ai donné une interview pour une publication américaine et je me suis rendu compte que pour eux, la Première Guerre mondiale n’était pas une si grosse affaire alors que pour nous, Européens, elle a tout changé : c’est là que le national-socialisme est arrivé, que beaucoup de monarchies se sont écroulées et que certaines tendances artistiques ont commencé à émerger. Perg a l’impression que le monde est retors et distordu : rien autour de lui n'est plus net ou fiable. L’expressionnisme allemand voulait transmettre la même chose. Il va de la déception à la reconnaissance que, oui, il a perdu certaines choses, mais qu'il en a aussi accompli d’autres et que ce nouveau monde, avec ses nouvelles idées, n’est pas entièrement mauvais.

À un moment, le film devient un polar où il s'agit d'identifier l'assassin, et si on assiste à beaucoup de scènes de torture, ce décor rétro les rend plus faciles à digérer, n’est-ce pas ?
Ça, c'est à cause de mes co-scénaristes [Robert Buchschwenter et Hanno Pinter] : c’est de là que vient toute cette violence.

De grands malades !
Exactement [rires]. J’aime combiner des éléments de thriller avec un contexte socioculturel. On peut se rapporter à l'état d’esprit de Perg et à la manière dont Vienne est montrée, mais si vous voulez rester juste pour le récit à suspense, ça va bien aussi. Il était nécessaire que les meurtres soient sordides : tous les anciens combattants avaient déjà vécu tellement d’horreurs qu'il fallait que ces actes soient tout aussi horribles pour qu’ils réagissent. Il y avait tellement de mutilés dans les rues à l’époque, et beaucoup de médecins qui essayaient de reconstruire leurs corps détruits, souvent avec un simple bout de cuir et des lunettes, pour qu’on puisse aller acheter du lait dans une boutique sans choquer les autres gens parce que la moitié de votre visage était manquante. Des choses vraiment, vraiment affreuses.

Des articles ont avancé que la guerre du Vietnam avait marqué la première fois que des soldats revenant de la guerre n’étaient pas traités comme des héros. Vous montrez la même expérience ici.
Le film parle de ce qu'on appelle aujourd’hui la "masculinité toxique". Toutes ces vertus sont typiquement masculines : aller à la guerre, se battre pour son pays, protéger les femmes et les enfants. Or ces hommes ont échoué à faire cela. Non seulement ils n'ont pas gagné la guerre mais ils ont tout perdu, et les voilà qui reviennent dans cette petite chose au milieu de l’Europe qu'est à présent l’Autriche, alors qu'avant, c’était un des plus vastes empires du monde. Ils se sentaient humiliés, je crois, et la même chose s'est produite avec le Vietnam. Notre société aime à penser que quand nous partons en guerre, c'est parce que c’est juste. Et puis on apprend que, eh bien, non ça ne l’était pas, et on a perdu – et non sans raison. Mais Perg finit par se rendre compte que tout n’est pas qu’une question de perte, c’est une question de changement.

Est-ce que vous avez beaucoup lu sur l’état d’esprit des gens qui sont revenus de la guerre ? Et ceux qui sont restés ?
Un de mes livres préférés est Voyage au bout de la nuit de Céline, même s'il est devenu fasciste, ce qui a terni sa réputation. C’est sur des soldats français pendant la Première Guerre mondiale, et le roman montre qu'ils haïssaient leurs propres officiers aristocrates plus qu’ils ne haïssaient les Allemands. Ils savaient que leurs supérieurs n’accordaient aucune valeur à leur vie. Ce sentiment de déception, que rien ne marche plus et que le monde est vicié, j’ai trouvé ça dans le livre, et peut-être qu’un peu de cela se retrouve dans le film également. C’est une chose que tous les pays européens ont ressenti, à l’époque : que ce que nous avions avant ne suffisait plus.

On voit des séries partout maintenant, après s'en être gavés pendant le confinement, or il y a du potentiel, pour continuer de suivre ce personnage. Vous révélez son passé, ce qui nous fait envisager son futur.
Nos producteurs et l’un des scénaristes, Hanno, se sont mis à réfléchir à une possible suite. Ma première décision comme metteur en scène a été de choisir Murathan parce que je voulais avoir un mâle alpha typique, un type qui souffrirait d’autant plus de cette humiliation. Perg est habitué au succès, à avoir le contrôle des choses, donc découvrir que sa femme a couché avec un autre homme et qu’il ne va pas récupérer son emploi... toutes ces choses s’additionnent et le plongent dans le désespoir le plus total. C’est un personnage intéressant, c’est certain.

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(Traduit de l'anglais)

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