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BRIDGING THE DRAGON 2021

Benjamin Illos • Correspondant pour l'Asie, Quinzaine des Réalisateurs

"Je suis convaincu que les films qui nous sont soumis ont l’ambition de susciter un authentique enthousiasme de la part des cinéphiles partout dans le monde"

par 

- Entretien entre Bridging the Dragon et le correspondant pour l'Asie de l'Est et du Sud-Est de la section parallèle indépendante du Festival de Cannes

Benjamin Illos  • Correspondant pour l'Asie, Quinzaine des Réalisateurs

Benjamin Illos est le correspondant pour l’Asie de l’Est et du Sud-Est de la Quinzaine des réalisateurs, la sélection parallèle du Festival de Cannes, berceau d’un nouveau cinéma audacieux et libre. Il a contribué à un certain nombre de publications en qualité de critique, a travaillé comme monteur et a collaboré, pendant près de 10 ans, avec Pierre Rissient à promouvoir des films et des réalisateurs. Bridging the Dragon l’a rencontré.

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Bridging the Dragon : Vous avez sélectionné des films asiatiques pour la Quinzaine des réalisateurs, et ces dernières années, vous vous êtes rendu en Chine à plusieurs reprises. Quelle est votre opinion sur les films chinois ? Quel regard portez-vous sur le développement du cinéma chinois ces dernières années en matière de création de contenus ?
Benjamin Illos : Depuis sa création en 1968, la Quinzaine des réalisateurs, programme indépendant du Festival de Cannes, soutient des films de réalisateurs et des voix originales. Chaque année, nous établissons un programme mêlant tout type de formes et de genres, des réalisateurs débutants et confirmés de tous horizons, présentant des films où la créativité reste au cœur de leur démarche. La Quinzaine a toujours porté une attention particulière aux réalisateurs asiatiques, et la Chine représente une grande partie de cette production. Je ne peux pas énumérer ici les chiffres impressionnants qui n’ont cessé de bondir ces dix dernières années dans l’industrie de film chinois. Je ne peux pas non plus passer au crible les oppositions et les convergences qui se cachent derrière l'abondance de films à petit budget ou de superproductions. Je me contenterai de dire que l’augmentation constante du nombre d’écrans et de films offre, de manière quasi mathématique, aux réalisateurs chinois davantage d’opportunités et naturellement davantage de chances de proposer de temps à autre un long-métrage qui possèdent cette étincelle unique attendue par les cinéphiles lorsque la salle est plongée dans le noir.

Cette année, le récit de Wei Shujun Ripples of Life, une histoire plurielle de cinéma, hilarante et poignante, nous a enchantés. Nous sommes enclins à privilégier les individus au détriment des tendances du marché et les films au détriment du contenu. Aussi la meilleure façon de vous répondre serait peut-être pour moi de reconnaître que le fait qu’un cinéma aussi ambitieux et sophistiqué puisse aujourd’hui exister me donne une raison d’être optimiste.

Le Festival de Cannes est depuis toujours l’une des scènes essentielles pour le cinéma chinois. Selon vous, de quelle façon les festivals internationaux, comme Cannes participent-ils à la promotion de ce cinéma ?
En Chine, le marketing est incroyablement bien géré, je suis donc convaincu que les films qui nous sont soumis ont d’abord l’ambition de susciter un authentique enthousiasme de la part des cinéphiles. Existe-t-il un meilleur endroit que Cannes pour cela ?

J’ai eu la chance de travailler de nombreuses années avec Pierre Rissient, un homme aux talents multiples, éternel conseiller à Cannes. Il a joué un rôle déterminant pour que King Hu, Zhang Yimou, Chen Kaige ou Edward Yang, pour ne citer qu’eux, soient reconnus. Il a aidé la carrière de nombres de réalisateurs et a permis à d’innombrables films d’être vus, mais je ne me souviens pas l’avoir jamais entendu parler de "promouvoir" un film. Il ne fait aucun doute qu’il se battait davantage pour les films qu’il affectionnait, les réalisateurs qu’il jugeait dignes de son engouement. C’était comme un devoir envers l’objet de son admiration. Il est souvent parvenu à rendre justice à ces réalisateurs, mais le succès n’était pas une fin en soi. Certains films ou artistes obscurs, invisibles ou injustement écartés avaient d’autant plus d’importance à ses yeux.

De nombreux films chinois, récompensés dans des festivals internationaux ou acclamés par la critique, ne rencontrent pas leur public sur le marché local, alors que ceux qui connaissent un grand succès en Chine ne bénéficient pas du même accueil sur le marché international. Que pensez-vous de ce phénomène ? Selon vous, comment le cinéma chinois peut-il améliorer sa capacité à trouver un équilibre entre le public local et le public international ?
J’ai le sentiment qu’une telle affirmation est biaisée par une perspective à court terme. Prenez Cannes, il faut se souvenir que c’est là que Zang Yimou, Chen Kaige, mais aussi Ann Hui, Wong Kar-Wai, Jiang Wen, Diao Yinan et d’autres se sont distingués. Ils ne sont aucunement des figures en marge de l'industrie. Même si le public local met plus de temps à adopter certains films, l’engouement qu’ils provoquent auprès des critiques internationaux me fait dire qu'ils résisteront à l'épreuve du temps.

Maintenant, si vous me demandez s’il y a un manque de reconnaissance envers certains films populaires, dignes de ce nom, en dehors de la Chine, je vous répondrai volontiers que c'est effectivement le cas. L’opposition diamétrale qui distingue un cinéma ambitieux d’un cinéma populaire n’existe qu’en théorie, mais il ne fait aucun doute que cette opposition est profondément ancrée dans l'esprit de quelques décideurs. Il faut parfois le courage d’un producteur, ou la volonté d’un réalisateur, pour élargir une campagne de distribution déjà complexe par une stratégie des festivals. Toutefois, un rapide coup d'œil à nos sélections précédentes prouve que nous ne négligeons pas les films de genre ou les comédies populaires.

La "coproduction" est un sujet souvent évoqué par les cinéastes chinois et européens, et de nombreux films chinois sélectionnés à Cannes sont produits et distribués avec la participation de talents et de capitaux européens. Comment voyez-vous l'impact de cette coopération sino-européenne sur les films chinois ? Et quelle est votre opinion sur l’avenir des collaborations entre l'Europe et la Chine ?
Je dois tout d'abord souligner que la majorité des films chinois présentés à Cannes cette année n'ont pas été tournés dans le cadre de ce type de programmes de financement.

La coproduction est souvent perçue, à tort, comme la voie la plus simple pour se forger une carrière à l’international, mais la vérité est que, pour trouver des partenaires de confiance à l'étranger, vous devrez commencer faire vos preuves. Cela peut se faire grâce à un film antérieur distribué à l'international, ou programmé dans un festival de renom… Les exemples les plus célèbres parmi les réalisateurs chinois répondent tous à ce schéma, qui leur a ensuite offert un outil solide pour enrichir leur travail.

Toutefois, ces collaborations internationales peuvent être chronophages et exigent souvent de se montrer patient. La rapidité du rythme de production en Chine ne le permet pas nécessairement, même s'il est évident que commencer par inclure une perspective et une stratégie internationales à un projet peut en élargir le potentiel, si les ambitions et les attentes sont les bonnes.

Je ne suis pas producteur, mais je soupçonne que travailler du local vers le global est certainement plus raisonnable. Trop souvent, hélas, une telle démarche est incomprise et apparaît comme superficielle et peu judicieuse. "Dressons la liste des liens historiques entre l’Asie et l’Europe et prenons-en un au hasard, pour les particularités locales… Surpayons cet acteur étranger très connu pour ses 10 secondes de présence à l'écran, avec l’espoir qu'il ouvrira les portes des marchés internationaux…"

Ceci étant dit, il y a des professionnels chevronnés et bien intentionnés qui font des miracles à travers les continents et les langues. On ne peut ignorer le fait que le monde doit faire face à de nouveaux défis intimidants. Après la pandémie, le retour brutal des frontières n'a fait qu'accentuer un mouvement de tensions croissantes. J'espère en tout cas que ces sommités du cinéma continueront à lutter contre ce mouvement, utilisant les collaborations internationales pour construire des représentations collectives.

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(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)

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