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CANNES 2021 ACID

Simon Coulibaly Gillard • Réalisateur de Aya

"Laisser une trace de qui était là, avant que tout ne disparaisse"

par 

- CANNES 2021 : Le jeune réalisateur parle de sa fiction atypique sur une jeune fille originaire d’une île de Côte d’Ivoire qui se voit contrainte d’abandonner sa terre

Simon Coulibaly Gillard  • Réalisateur de Aya
(© Aurore Engelen)

Rencontre avec le jeune réalisateur Simon Coulibaly Gillard, dont le premier long métrage, Aya [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Simon Coulibaly Gillard
fiche film
]
, a été montré à l’ACID lors du 74e Festival de Cannes.

Cineuropa : Quelles sont les origines du projet ?
Simon Coulibaly Gillard :
Cela fait une dizaine d’années que je tourne dans les pays du Golfe de Guinée, Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire, Bénin. J’ai fait 4 films dans cette région, deux courts et deux moyens métrages. Je voulais faire un film sur le littoral africain, mais je ne savais pas où. J’avais acheté une voiture en arrivant en Côte d’Ivoire, avec beaucoup de kilomètres au compteur. Elle est tombée en panne quelques heures plus tard, ce qui a changé tous mes plans, vu que je ne pouvais pas aller bien loin. C’est là que j’ai mis le pied pour la première fois à Lahou. Quand j’ai compris tous les enjeux dramatiques qu’il y avait sur l’île, je me suis dit que ce n’était pas la peine d’aller plus loin, tout était là.

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Les films précédents étaient des documentaires, y’avait-il déjà en arrivant sur l’île un désir de fiction ?
Oui, parfaitement. Michigan Films cherchait un documentariste qui avait un désir de fiction pour déposer un projet auprès d’un nouvel appel à candidatures, l’aide aux productions légères du CCA-FWB. Il fallait quelqu’un qui fasse avec peu grâce à sa méthode documentaire, et qui ait envie de l’adapter à quelque chose de plus scénarisé. A la base, je devais tourner une fiction en Belgique, mais je me suis rendu compte que cela ne fonctionnait pas. C’était déjà l’histoire d’une jeune fille et de sa maman, mais j’ai fini par la transposer ailleurs.

Comment passe-t-on d’une histoire à l’autre ?
C’est un sérieux changement d’arène, je suis passé du milieu des courses moto dans le Hainaut, à l’île de Lahou ! Mais j’ai gardé l’idée de parler d’une jeune fille et de sa mère célibataire, c’est une situation qui fait écho en moi. Et je savais que là-bas, je pouvais faire des films vite, et à ma façon, et retrouver l’envie de filmer, que je ne trouve que là-bas. D’autant que dans ces régions d’Afrique, il y a un déficit d’image, de représentations. Et moi je venais relever une sorte de promesse, celle de faire entendre une langue, montrer des paysages, une culture. Il y a une vraie nécessité de partager ces réalités. De défense des identités, qui sont souvent mises en péril. Il n’y a plus que 30.000 locuteurs avikam dans le monde, et c’est le premier film de fiction produit en cette langue. Je ne peux pas repousser la mer, mais je peux partager leur histoire, laisser une trace de qui était là, avant que tout ne disparaisse. Etre au coeur de cette grande fête du cinéma, pas loin de Fast & Furious, Mylène Farmer ou Spike Lee, c’est une belle récompense.

Un récit classique de coming-of-age dans un contexte très particulier et un endroit peu vu au cinéma ?
Ce qui est intéressant dans la fiction, c’est qu’elle "cache" le sujet. Le film est très simple, et finalement très commun, c’est un sujet, l’adolescence, que l’on retrouve peut-être bien dans 50% des films ! Je trouve qu’Aya en fait ressemble à ma petite soeur, me parle d’elle. Le sujet du film semble être la perte d’un territoire, mais en fait, c’est vraiment un film sur la perte de l’enfance. Et le sable qui se désagrège était la métaphore parfaite pour ça, pour dire l’espace de l’enfance qui disparait.

Comment s’est écrit le film ? Quand vous arrivez sur l’île, l’histoire est encore à inventer ?
L’écriture dépend de la confiance que l’on s’accorde mutuellement. Moi, je peux avoir confiance en Marie-Josée Kokora, qui joue Aya, car elle fait preuve de beaucoup de générosité et de partage, et elle a confiance en moi car je prends le temps d’apprendre à la connaître. On écrit aussi le film en mangeant ensemble, en chantant, en dormant ensemble. Les gens me parlent de leur histoire, de leur passé. Moi, je me mets à tisser toutes ces petites histoires. C’est une écriture qui se fait au quotidien, de façon instantanée. On écrit le matin en fonction des accidents qu’on a pu rencontrer la veille. Souvent, les accidents, c’est ce qui est beau dans les séquences. Ensuite, il faut pouvoir les justifier dans le scénario.  C’est aussi une écriture souvent double. On tourne une scène dans laquelle on dit tout et son contraire. On s’ouvre des possibles. Tout est un peu tissé façon puzzle, mais un puzzle avec des pièces en trop.

On a tourné pendant 6 mois, on a monté pendant 6 mois, ce qui est très long pour un long métrage, surtout un long métrage fauché, mais c’était nécessaire. D’abord la méthode, le fait que je tourne tout seul, entraîne beaucoup d’accidents, donc beaucoup de choses à jeter. Ensuite, il faut tout traduire et sous-titrer, ce qui est aussi très laborieux. Mais proposer cette expérience inédite le vaut.

L’océan est aussi un personnage du film, comment avez-vous choisi de le représenter ?
Ce que j’aime dans le personnage de la mer, c’est que c’est à la fois un protagoniste, et un antagoniste, tout advient grâce à elle, et tout advient malgré elle. C’est très palpable sur place. Toute cette société a le choix d’abandonner l’île, ses traditions et ses métiers, pour partir en ville. Ou alors elle choisit de rester, et de faire la paix avec l’océan. Cet océan, c’est un peu un Président, qui aurait une vision sur le monde, qui affirmerait qu’il n’y a pas de futur pour la vie rurale. Et puis filmer l’eau, c’est un peu une obsession pour moi. J’ai des heures et des heures d’images de la mer, plein cadre, qui bouge. Ce personnage pluriforme qui évolue, tantôt lisse, tantôt exclamatif, c’était une aubaine pour mon obsession. Il était présent dans mes films précédents, mais c’est la première fois que je pouvais lui donner une voix.

Quels sont vos projets ?
En littérature, j’aime beaucoup les écrivains qui construisent une oeuvre autour de la généalogie, comme Zola ou Knut Hamsun, qui suivent plusieurs membres d’une même famille. Cela me fascine, et j’aimerais faire quelque chose dans ce sens-là, faire confiance aux personnages que j’ai déjà filmés. Par exemple, j’aimerais beaucoup filmer Marie-Josée/ Aya lors de sa première maternité. J’aimerais aussi retrouver les personnages de mes premiers courts. Avoir des personnages récurrents en somme.

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