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LES ARCS 2019

Frédéric Boyer • Directeur artistique, Les Arcs Film Festival

"L’essentiel, ce sont les nouvelles voix, les nouveaux visages, l’envie de créer"

par 

- Frédéric Boyer, le sélectionneur des Arcs Film Festival (11e édition du 14 au 21 décembre 2019) décrypte le Work in Progress

Frédéric Boyer  • Directeur artistique, Les Arcs Film Festival

À la veille de l'ouverture du 11e Les Arcs Film Festival (du 14 au 21 décembre 2019), rencontre avec son directeur artistique Frédéric Boyer (également en poste à Tribeca) pour évoquer, au-delà de sa programmation (news) et des projets sélectionnés au Village des Coproductions (news), un Work in Progress (article) qui se déroulera lundi 16 décembre et très attendu par les vendeurs car les précédentes éditions ont propulsé de nombreux films vers de très belles vitrines dans les grands festivals.

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Cineuropa : Cette année, le Work in Progress des Arcs propose dix premiers longs métrages sur 16 titres sans vendeurs en vitrine. Est-ce prémédité ?
Frédéric Boyer: Ce n’est absolument pas un choix délibéré. Je n’ai pas d’explication particulière, sinon d’imaginer que les vendeurs sont à l’affut des seconds longs de cinéastes déjà repérés avec leurs premiers longs. Mais découvrir des premiers longs, surtout quand on est les premiers à voir les premières images de ces films, c’est toujours très excitant. 

Avez-vous identifié des tendances en termes de sujet ?
Nous avons reçu 143 candidatures et les tendances sont celles du cinéma européen avec beaucoup de films sur les relations familiales (les rapports parents-enfants, fille-mère, fils-père, etc.) et des "coming of age" que j’essaye d’éviter. Je n’ai pas voulu surcharger notre Work In Progress de thématiques qui pouvaient se ressembler. Des films sur des jeunes filles et des jeunes hommes, on aurait pu en aligner beaucoup, mais nous avons préféré en choisir seulement un ou deux et donner à l’ensemble du Work in Progress des styles et des niveaux du budgets très différents : du biopic sur Vaclav Havel (Havel de Slávek Horák) à de l’expérimental, en passant par du thriller danois avec Shorta de Fredrik Louis Hviid et Anders Ølholm. Et il y a toujours des surprises comme Luzzu d’Alex Camilleri qui est un film maltais, ce qui est très rare. Par ailleurs, nous avons étendu un peu la durée du Work in Progress, pas pour empiler davantage de films, mais pour être plus détendu lors de leurs présentations.

Les vendeurs cherchent-ils le même type de films ?
Les vendeurs ont besoin d’exister, donc d’avoir des films sur leurs line-up et que ces films aillent dans des festivals de catégorie A. Ils cherchent donc aux Arcs en priorité des films qui peuvent être éventuellement optionnés pour la Semaine de la Critique, la Quinzaine des Réalisateurs et Un Certain Regard à Cannes. Ensuite, ils visent les autres festivals, de Tribeca à Karlovy Vary et bien sûr Locarno, et, quand le film n’est pas encore prêt Venise, Toronto et San Sebastian. Tous les vendeurs internationaux européens, à commencer par les français et allemands, opèrent quasiment sur la ligne de recherche. Ils évaluent aussi si un film a un potentiel de ventes ou de passage dans les festivals, car il y a des films qui ne se vendent pas forcément beaucoup, mais que les vendeurs rentabilisent auprès des festivals. Il y a maintenant un marché des festivals ce qui place ces derniers dans une position curieuse de businessmen alors que notre rôle, c’est seulement de programmer. Pour les films d’auteurs européens, les festivals dans leur ensemble prennent un peu la place des distributeurs qui ont plus ou moins disparu dans beaucoup de pays.

Peut-on encore surprendre les vendeurs qui prospectent méthodiquement les projets de plus en plus en amont ?
Toutes les sociétés de ventes internationales européennes qui viennent aux Arcs, de The Match Factory à mk2, en passant par Beta Cinema, Charades, Films Boutique et autres, sont dirigées par des cinéphiles qui connaissent très bien leur travail. Ils suivent les projets, vont au Cinemart, au Gap-Financing à Venise, et il y a maintenant beaucoup de Work In Progress de qualité, à Cologne, à Tallin, etc. Mais le Work In Progress des Arcs se distingue de plusieurs manières. D’abord, même s’ils ont intéressants, nous écartons les films terminés depuis juin-juillet, car cela signifie qu’ils ont forcément été à la recherche de vendeurs et qu’ils sont plus ou moins en attente de réponse. Nous essayons d’avoir le maximum de films encore en travail et en finition pour être le plus collé possible à la philosophie d’un vrai Work In Progress : certains films de notre sélection sont d’ailleurs encore en tournage. Ensuite, même si ce n’est évidemment pas facile d’avoir des films dont personne n’a entendu parler et que tout le monde veut, certains producteurs et cinéastes font confiance aux Arcs : nous leur demandons une clause de confidentialité, qu’aucune image ne soit montrée et que rien ne soit initié avec les vendeurs. Il est vrai également que les succès de films comme Girl [+lire aussi :
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nous ont aidés à amplifier notre attractivité car ils ont trouvé un marché aux Arcs. Et nous bénéficions également d’une très bonne couverture des médias de l’industrie. Mais on peut aussi se tromper, montrer parfois quelque chose qui semble bien alors que le film peut ensuite décevoir, ou ne pas sélectionner des films qui seront bien au final. Il y a beaucoup de subjectivité et c’est très bien comme ça.

Quid des acheteurs des plateformes ?
C’est un peu brutal à dire, mais quand un film est vendu par exemple à Netflix, peut-être qu’au bout de compte beaucoup plus de personnes le verront, mais d’une façon ou d’une autre, il y a un effacement de l’œuvre. Le film existe quand il fait sa première mondiale dans un grand festival et qu’il est découvert sur grand écran, mais il disparait ensuite si l’on n’est pas abonné à la plateforme qui l’achète. C’est pour cela que les festivals deviennent de plus en plus importants car c’est le seul moment où pour beaucoup de films, le metteur en scène va rencontrer un public, et c’est pour cela que les cinéastes font des films. Mais ce que fait MUBI par exemple qui autorise la sortie salles est davantage respectueux des œuvres, et je n’ai rien non plus contre Netflix : ils ont un super catalogue et du goût comme le démontrent leurs récents achats de J’ai perdu mon corps [+lire aussi :
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. Avec le film de Jérémy Clapin, par exemple, les gens peuvent allumer leurs télévisions ou prendre leurs tablettes et découvrir un film d’animation qui n’est pas forcément un Disney ou un Pixar, un film complètement indépendant et remarquable. Car les plateformes ne sont pas forcément totalement obnubilées par le rendement et les chiffres : elle ont aussi besoin d’avoir une bonne image, donc d’éveiller la curiosité de leurs abonnés. Ceci étant, si cela ne pose aucun problème aux festivals américains de projeter des films Netflix ou Amazon, ce n’est pas le cas en France où l’on a quand même une singularité. Pour ma part, j’ai découvert tous les films de Scorsese en salles et The Irishman est le premier que je suis empêché de voir en salles. Cela donne moins envie, c’est une petite frustration. C’est comme pour la musique. Avant, on aimait aller chercher un disque, le partager avec ses amis, maintenant on appuie sur un bouton et on l’a tout de suite. C’est toute cette transmission, aller au cinéma, en parler, qui manque un peu. L’accès immédiat n’est pas forcément séduisant. Et on ne va pas non plus s’abonner à dix plateformes, donc les films qu’elles n’achèteront pas ne seront vus nulle part, sauf dans les festivals. Mais c’est peut-être une phase et tout cela va sans doute encore évoluer.

Votre façon d’aborder le Work In Progress a toujours privilégié le côté humain par rapport enjeux industriels. Pourquoi ?
Parce que l’essentiel, ce sont les nouvelles voix, les nouveaux visages, l’envie de créer. Ensuite, l’industrie est là et le business se fera. Je préfère m’intéresser aux films avec la curiosité d’un cinéphile, explorer les détails car on sait bien qu’ils cherchent un vendeur et des distributeurs, ce n’est même pas la peine d’en parler. Ce que je veux, c’est montrer ce qu’il y a de mieux dans un film, faire sa promotion. D’ailleurs, l’étape la plus agréable, ce n’est pas celle de la sélection, c’est de discuter ensuite par Skype avec les cinéastes retenus, apprendre à les connaître, à les comprendre, les conseiller pour leur présentation afin d’éviter par exemple d’être trop long. Ce sont eux évidemment qui ont le final cut, mais il faut les détendre un peu car ils sont souvent assez stressés. Il faut leur donner de l’espoir car nous sommes là pour que tout se passe le mieux possible pour leurs films. Ils ont besoin d’être aimés pour de bonnes raisons.

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