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BERLINALE 2019 Compétition

Agnieszka Holland • Réalisatrice de Mr. Jones

"Beaucoup de gens n'en auraient pas autant appris sur l'Holocauste s'il n'y avait pas eu le cinéma"

par 

- BERLIN 2019 : Nous avons rencontré Agnieszka Holland pour parler des histoires non-dites, du journalisme et du pouvoir du cinéma dans le contexte du film qu'elle présente à Berlin, Mr. Jones

Agnieszka Holland  • Réalisatrice de Mr. Jones
(© Jacek Poremba)

Nous avons rencontré la cinéaste polonaise Agnieszka Holland pour parler de Mr. Jones [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Agnieszka Holland
fiche film
]
, en compétition au 69Festival de Berlin, ainsi que des histoires non-dites, du journalisme et du pouvoir du cinéma.

Cineuropa : Vous avez déjà fait plusieurs films sur des chapitres sombres de l'histoire contemporaine en Europe, et vous recevez probablement beaucoup de scénarios sur des sujets comme la Seconde Guerre mondiale et l'Holocauste. Pour quelle raison avez-vous choisi celui d'Andrea Chalupa en particulier ?
Agnieszka Holland : On ne m'avait jamais demandé de faire un film sur l'Holodomor. Cela faisait un moment que j'y songeais et que je disais qu'il y a encore beaucoup de crimes commis par le régime communiste dont on ne parle pas. Le monde n'est pas au courant de ces crimes, alors que l'Holocauste est un fait connu dans l'Histoire de l'humanité. Même les Russes et les habitants des républiques anciennement soviétiques ne parlent pas des crimes commis au nom du communisme, alors que Staline a tué plus de 20 millions de ses propres citoyens ! Lors d'un sondage réalisé l'année dernière me semble-t-il, les gens ont élu Staline plus grand leader russe de l'Histoire. Pour bien comprendre à quel point c'est monstrueux, et l'influence que cela doit avoir sur la politique en Russie, il faut imaginer ce qui se passerait si les Allemands choisissaient aujourd'hui Hitler !

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Je pense que le fait que ces atrocités sont enveloppées de silence est une des raisons du chaos moral que nous sentons en Europe aujourd'hui. J'ai lu quelque part que les conséquences physiologiques et psychologiques de la faim extrême peuvent se perpétuer loin dans l'avenir : sur cinq générations. Naturellement, "l'après" psychologique est difficile à évaluer. Un des lieux où nous avons tourné le film est un village abandonné en Ukraine qui n'est habité que par cinq vieilles femmes, eh bien elles se souviennet de l'Holodomor, mais elles nous ont aussi dit que personne n'en parlait, même quand elles étaient enfants, bien que leurs familles aient en grande partie péri pendant cette famine. Ainsi, d'une certaine manière, le sujet du génocide par affamement m'attendait depuis un moment. 

Cela fait de Mr. Jones un film à thème...
Le sujet principal du film, c'est l'Holodomor, et le thème c'est la croisade de Gareth Jones pour raconter la véritable histoire de ce qui s'est passé. Il veut découvrir la vérité parce que c'est dans sa nature, ça va de pair avec son honnêteté, son éducation et son instinct. L'autre sujet important du film, c'est la manière dans le monde accueille la découverte de Jones : on voit comme les faits sont discrédités et déformés et comment les "fake news", plus confortables pour tout le monde, finissent par l'emporter. Quand la vérité est enfin rendue publique, elle ne ne signifie plus rien.

Gareth Jones est équitable, honnête, noble dans sa conduite. C'est le genre de héros qu'on voit rarement dans les films ou les séries télévisées ces derniers temps, car les scénaristes préfèrent souvent des personnages retors et sombres. Avez-vous été tentée de faire de Jones un personnage un peu moins "chevaleresque" ?
Le faire uniquement pour "vendre" ce personnage n'aurait pas été juste par rapport au vrai Jones. Cependant, j'ai travaillé en effet avec James Norton [qui joue Jones] pour rendre son personnage aussi réaliste que possible, pour qu'on puisse se rapporter à lui. Nous l'avons rendu un peu maladroit, un peu rat de bibliothèque, un peu insistant. Quand il veut séduire, c'est toujours avec le même petit poème ridicule sur "la bataille des arbres"... Donc son personnage a d'autres couleurs que simplement un blanc immaculé. 

Le cinéma, à travers des films comme Mr. Jones, peut jouer un rôle important pour préserver la mémoire. Pensez-vous que le cinéma peut encore faire une différence?
Ce que je suis convaincue que le cinéma peut faire, c'est introduire certains faits et événements dans le récit mondial de l'histoire des hommes et les intégrer dans un niveau de conscience plus vaste. Le cinéma a joué un rôle crucial dans le discours sur l'Holocauste, notamment aux États-Unis, et il a aussi changé l'attitude des Allemands. Après la Seconde Guerre mondiale, presque personne ne parlait de l'Holocauste ; seules quelques histoires sur des juifs cachés circulaient. Il a fallu attendre des décennies pour que les gens commencent vraiment à en parler. La première production qui a fait entrer ce sujet dans le débat est, je crois, une série télévisée diffusée en 1978 qui s'intitulait Holocaust. Elle était kitsch, mais elle a fait beaucoup d'effet aux gens. Quand j'ai fait Europa Europa, en 1990, il n'y avait pas encore beaucoup de films sur le sujet. Et puis il y a eu La Liste de Schindler et beaucoup d'autres ont suivi. L'impact de ces films a révélé le vrai pouvoir du cinéma : sa capacité à éduquer les gens et à générer de l'empathie. Et bien que certaines personnes estiment qu'on ne devrait pas faire de films sur l'Holocauste, que c'est une expérience indicible, impossible à exprimer, la vérité, c'est que beaucoup de gens n’en auraient pas autant appris sur l’Holocauste s’il n’y avait pas eu le cinéma.

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(Traduit de l'anglais)

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