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Nabil Ayouch • Réalisateur

"Explorer cette majorité silencieuse dans leurs luttes individuelles"

par 

- TORONTO 2017 : Après la sensation Much Loved, Nabil Ayouch est de retour avec Razzia, dévoilé en première mondiale à Toronto dans la compétition Platform

Nabil Ayouch • Réalisateur

Razzia [+lire aussi :
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est le 6e long métrage de Nabil Ayouch, dont les deux derniers films ont été présentés à Cannes (Les Chevaux de Dieu [+lire aussi :
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à Un Certain Regard en 2012 et Much Loved [+lire aussi :
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à la Quinzaine des réalisateurs en 2015). Piloté par la société parisienne Unité de Production avec la Belgique et le Maroc, Razzia sera distribué en France le 17 janvier 2018 par Ad Vitam et est vendu à l'international par Playtime (ex Films Distribution).

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Cineuropa : Quelle est l’origine d’un projet aussi ambitieux avec cinq personnages aux histoires entrelacées et deux époques au Maroc avec 1982 et 2015 ?
Nabil Ayouch : Cela fait 18 ans que j'ai posé mes valises au Maroc après avoir grandi en France. J'étais à la fois dans une vie très excitante d'un pays qui m'inspire beaucoup tout autant qu'il peut me choquer parfois ou me bouleverser, et dans l'observation. L'observation essentiellement des autres, des gens qui peuplent le Maroc, des gens très différents qui sont dans des combats individuels qui pour certains se sont transformés en combats collectifs comme on l'a vu au moment du printemps arabe. Jusqu'à présent, dans mes films, j'avais toujours eu envie de m'intéresser aux marginaux, que ce soit Ali Zaoua, Les Chevaux de Dieu ou même Much Loved. Avec Razzia, je voulais me lancer dans quelque chose qui est beaucoup plus un film somme, une somme de toutes ces années que j'ai passées ici, une somme de toutes les personnes que j'ai vues, que j'ai rencontrées et qui constituent une majorité, mais une majorité silencieuse. J'avais envie d'explorer cette majorité silencieuse dans leurs luttes individuelles, avec une période charnière, le début des années 80 qui ouvre le film dans les montagnes et qui est la période d'arabisation de l'enseignement, de l'éducation.

Le film est relié ensuite à Casablanca en 2015 où sont introduits les quatre autres personnages principaux. Pourquoi ces personnages en particulier ?
C'est ce qui me touche parmi les gens que je rencontre et quelles problématiques me touchent. Ce restaurateur juif qui vit dans le déni et dans un monde idéalisé qui voudrait être coexistant et fraternel. Ce jeune des quartiers populaires de la Médina dont les rêves de devenir une rock star sont entravés par son quartier et même par son père. Cette jeune adolescente qu'on pense avoir tout pour elle et qui ne demande qu'une chose, faire partie de ce Maroc pluriel et divers, mais qui en est complètement coupée et qui est totalement seule. Enfin, cette femme qui est dans une sorte de résistance au quotidien, dans son couple et vis à vis de la société, et qui incarne pour moi toute une génération de femmes qui ne sont pas seulement marocaines ou du monde musulman, mais de bien au-delà, cette femme qui décide de se réapproprier un espace, son espace, qu'il soit public ou privé. Je me suis rendu compte qu'ils me touchaient tous, chacun à leur manière. Je les avais tous rencontrés depuis 18 ans que je vis ici et j'avais tout simplement envie de parler d'eux.

Quelles étaient vos intentions de mise en scène ?
Je voulais une mise en scène assez simple, qui porte avant tout l'émotion de mes personnages car ils sont humains, touchants, émouvants, car ils ont des fragilités qu'il fallait aller chercher le plus loin possible, dans la manière de les filmer, dans la manière de les regarder et de les observer, de les confronter au monde qui les entoure. Cela a été un choix permanent pendant le tournage. Car ce qui n'était pas évident, c'est que je vais les chercher dans une intimité, mais qu'en même temps ils font partie d'un tout. C'est la complexité de ce film : ils sont chacun dans un parcours personnel et en même temps ce parcours personnel est plus vaste et parfois les dépasse, notamment dans la dernière partie du film.

Quid de la tension permanente dans le film et de la violence qui finit par déferler.
On est sur un fil, les personnages sont dans équilibre assez précaire. On sent que cela peut basculer, mais cela ne bascule pas : cela reste tendu. A la fin, cela explose parce je crois que, comme ces personnages, on vit tous des peurs aujourd'hui dans la société dans laquelle on évolue. A un moment ou un autre, ces peurs explosent, s'expriment comme une sorte de catharsis qui est selon moi extrêmement signifiante de l'époque qu'on est en train de vivre. Evidemment, il ne s'agit pas d'encourager quelque forme de violence que ce soit. Il s'agit de dire que la violence est parmi nous, qu'elle est là qu'on le veuille ou non, que c'est une voix d'expression et qu'il faut s'en méfier. Mais en même temps, parfois, garder cette violence à l'intérieur de soi, la réprimer, est beaucoup moins salvateur que de la voir sortir, s'exprimer, justement parce qu'elle raconte des choses sur notre époque.

Le film a-t-il beaucoup évolué au montage ?
Il y a eu énormément de travail au montage qui a duré huit mois, ce qui est assez inhabituel par rapport à mes films précédents. Mais nous le savions dès l'écriture avec ma co-scénariste, Maryam Touzani. Le film était évidemment très écrit, très structuré, et le montage reste globalement assez fidèle au scénario dans sa structure globale. Mais on savait qu'il faudrait se confronter aux images et aller chercher par moments d'autres choses chez les personnages, notamment dans ce rapport à l'instituteur, le personnage du début du film. Il était essentiel de ne pas perdre le lien avec lui car c'est le sens du film. Il fallait qu'il ait une phosphorescence sur les quatre autres personnages.

Much Loved avait provoqué de très fortes réactions au Maroc. Razzia a-t-il été difficile à tourner ?
Ce n'a pas été facile. Chaque film a ses complexités et celui-là en avait probablement un petit peu plus que d'autres, de part l'ambition du projet et parce que je n'arrivais pas tout à fait vierge de mon film précédent qui avait provoqué une espèce d'hystérie collective à laquelle je devais me confronter, que je le veuille ou non, que ce soit à travers des comédiens qui faisaient marche arrière ou des décors qu'on pensait avoir signés et qui nous claquaient entre les doigts à la dernière minute. Tout le monde attendait, craignait le film après Much Loved, donc il y avait une espèce de tension dans l'air. Après, je n'ai pas eu à subir de quelconque forme de censure ou des bâtons dans les roues de la part des autorités. Ils ont respecté le fait qu'après Much Loved, j'ai eu envie de refaire un film au Maroc, ils ont lu le scénario, ils ont donné l'autorisation de tournage. Chaque film est un recommencement. Je pense que les plaies de Much Loved ne sont pas complètement effacées, mais je pense aussi qu'il y a beaucoup de gens au Maroc qui veulent encourager un pluralisme, notamment dans l'expression artistique, et qu'ils ont bien compris que ce n'était pas l'intérêt du pays d'avoir une seule voix qui s'exprime, et que même des gens qui comme moi, qui se situent en rupture par rapport à la norme, jouent un rôle. C'est cela qui est important aujourd'hui pour une société qui doit évoluer, qui doit grandir : c'est d'avoir des citoyens et des artistes qui jouent leur rôle dans cette société, même quand ils créent des électrochocs. Car ces électrochocs font grandir la société d'une manière ou d'une autre et les interdire serait probablement la chose la plus terrible qu'on puisse faire.

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