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"La question n’est pas seulement de savoir si les gens voudront retourner en salles, mais qu’est-ce qu’ils veulent voir ?"

Dossier industrie: Tendances des festivals du film

Frédéric Boyer • Directeur artistique, Les Arcs Film Festival

par 

Le sélectionneur du festival alpin décrypte le Work in Progress organisé en ligne du 20 au 22 janvier dans le cadre de l’Industry Village

Frédéric Boyer • Directeur artistique, Les Arcs Film Festival

Complètement réorganisé en ligne et en plusieurs étapes pour cause de crise sanitaire, le 12e Les Arcs Film Festival entre dans sa dernière ligne droite du 20 au 22 janvier avec l’Industry Village qui inclut notamment le toujours très attendu Work in Progress (WiP) avec cette année 17 films au menu (news). Rencontre avec le directeur artistique du festival, Frédéric Boyer (également en poste à Tribeca et à Reykjavik).

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Cineuropa : La crise sanitaire a-t-elle eu un impact sur le volume des candidatures au Work in Progress des Arcs ?
Frédéric Boyer :
Il y a eu une petite baisse. Généralement, nous recevons entre 130 et 145 projets. Là, c’était autour de 120. Il y a aussi la concurrence habituelle d’autres Work in Progress comme Cologne, Tallin, Thessalonique, mais également des films qui n’ont pas pu se finir avec le premier confinement, qui se sont ensuite terminés, mais qui sont arrivés chez nous un peu trop finis, ce que nous essayons d’éviter car nous voulons de vrais work in progress. Mais le plus important, c’est que la qualité est encore là avec beaucoup de films intéressants parmi ceux qui nous ont été soumis. A l’arrivée, la sélection est à la hauteur de nos attentes.

Organiser un WiP en ligne, c’est un challenge ?
C’est une première pour Les Arcs. Nous tenions surtout à respecter l’image et le son des films qui nous sont envoyés, et nous ne voulions pas que le jury les voit en ligne, donc il sera réuni à Paris dans une bonne salle de cinéma qui sera privatisée. Ce sera une séance complète avec la présentation du film, un petit Q & A et les huit minutes d’extraits. Pour l’accès en ligne des professionnels, des festivals de catégorie A aux vendeurs, nous avons été très sélectifs. Surtout, nous insistons, et c’est aussi pour cela que nous avons retardé l’annonce de la sélection, sur le secret afin que les films soient libres de droits au moment où ils sont montrés et que tout le monde ait ses chances. D’ailleurs, certains producteurs et cinéastes ne sont pas forcément impressionnés par les très grosses sociétés de ventes et préfèrent parfois travailler avec des structures beaucoup plus petites. Nous avons sélectionné des films de styles très différents, ce qui devrait contenter, je l’espère, les vendeurs internationaux.

Quelle est votre perception de la conjoncture pour les vendeurs internationaux ?
Évidemment, pour tout le monde, l’avenir proche est assez bouché. C’est néanmoins une chance que les festivals se déroulent malgré tout car c’est capital pour mettre en valeur les films. Cependant, comme la distribution est très touchée par les fermetures de salles dans le monde et que beaucoup de vendeurs ont en stock des films qu’ils n’ont pas encore montrés en festivals, cela a des répercussions inévitables sur leurs ventes. Mais ils sont obligés de préparer l’avenir et ils ont quand même besoin de nouveaux films pour les festivals à venir : Cannes si les films sont terminés à temps, Karlovy Vary, Locarno, Venise, Toronto. Tout cela est très compliqué et pose de multiples questions : que faire des films ? Comment les vendre ? À qui les vendre ? Quel est le public ?

Festivals contraints de se mettre en ligne depuis dix mois, essor accéléré des plateformes SVOD, salles souvent toujours fermées : tout cela va t-il faire basculer complètement la structuration de l’industrie cinématographique ?
C’est la grande question. L’offre proposée par l’ensemble des plateformes, de Netflix à MUBI en passant par HBO, inclut maintenant des films d’auteur, des classiques, beaucoup de choses. Et comme tout le monde n’est pas forcément extrêmement cinéphile, il y a de quoi contenter toutes les familles. Or toute une famille allant en salle, cela coûte cher aussi. Par ailleurs, la question n’est pas seulement de savoir si les gens voudront retourner en salles, mais qu’est-ce qu’ils veulent voir ? C’est très difficile de prédire l’avenir. Qui aurait par exemple pensé qu’une série aussi noire (et qui est extraordinaire) que Chernobyl aurait marché ? La question du retour du public en salles est évidemment d’abord cruciale pour les exploitants et les distributeurs, mais elle va bien au-delà car si le public n’est pas là, les films ne sont pas distribués, donc ils ne sont pas achetés, etc. Le pire des cas, aussi pour les festivals, serait que l’offre de films diminue drastiquement.

Ce sujet de la bascule est aussi lié plus largement à l’envie de dépenser pour la culture et de soutenir la culture de façon civique comme cela se passe en France. Dans d’autres pays comme l’Angleterre et les États-Unis c’est très difficile pour les films d’auteur qui sont également globalement assez peu mis en avant sur les plateformes. Donc cela donnerait tout un pan du cinéma qui n’aurait plus de représentation, ni sur les plateformes, ni en DVD car ce marché n’existe plus, ni à la télévision qui n’achète pas ces films. Il ne resterait que les festivals. À mon avis, ces derniers pourraient même endosser le rôle de distributeur dans un pays, voire exploiter directement les films en le faisant tourner dans les salles comme l’a fait le circuit itinérant organisé par le Festival de Karlovy Vary, un circuit qui a très bien fonctionné avec des spectateurs heureux de découvrir des films. Donc je dirais que je ne suis pas pessimiste pour le cinéma d’auteur, mais plutôt dans une grande incertitude.

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