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"Notre cœur de métier garde toute sa véritable valeur ajoutée"

Dossier industrie: Tendance du marché

Alice Lesort et Katarzyna Siniarska • Présidentes, Europa International

par 

Conjoncture des marchés, plateformes, diversification, liens avec la presse : les nouvelles co-présidentes d’Europa International qui réunit 45 sociétés de ventes, s’expriment

Alice Lesort et Katarzyna Siniarska • Présidentes, Europa International

A l’occasion de sa conférence annuelle qui s’est déroulée la semaine dernière dans le cadre du 18e Festival du Cinéma Européen de Séville, Europa International a élu deux nouvelles co-présidentes : la Française Alice Lesort (Les Films du Losange) et la Polonaise Katarzyna Siniarska (New Europe Film Sales). Sont également membres du board, Sabine Chemaly (TF1 Studio), Paola Corvino (Intramovies), Jenny Walendy, (The Match Factory), Frédéric Corvez (Urban Distribution International) et Léo Teste (Film Constellation), le président sortant Jean-Christophe Simon (Films Boutique) devenant trésorier. Tour d’horizon des sujets les plus névralgiques pour les vendeurs internationaux européens avec les deux nouvelles pilotes de l’association qui a maintenant dix années d’existence.

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Cineuropa : À Séville, les vendeurs d’Europa International se sont retrouvés pour la première fois physiquement depuis le début de la pandémie. Quel est l’état d’esprit général alors que le marché est actuellement difficile ?
Alice Lesort :
Les vendeurs sont dans un état d’esprit très combattif. Ils ont traversé une période très compliquée et dure dont nous savons bien que nous ne sommes pas encore sortis. Ceci étant, beaucoup d’entre nous ont été capables de s’adapter en dépit des difficultés et nous allons continuer à le faire. Au fond, c’est cela, le métier de vendeur international : être capable de s’adapter à différents marchés, aux changements de situations dans les différents pays, être très bien informés de ce qui s’y passe. Maintenant plus que jamais, nous devons être très pointus sur la conjoncture dans chaque territoire, identifier quels distributeurs ont été soutenus dans quels pays et lesquels ne l’ont pas été, distinguer les territoires où les salles ont été rouvertes relativement rapidement de ceux où elles sont restées fermées plus d’un an et demi. Nous avons toujours été capables de nous adapter à tous ces paramètres et plus que jamais, nous sommes très déterminés et nous avons la volonté de défendre les sorties en salles et tous les types de films européens qui peuvent circuler à l’international. Certes, la conjoncture n’est pas facile, mais nous sommes hyper motivés pour défendre notre activité qui est l’une des solutions pour préserver une réelle diversité dans les salles du monde entier.

Katarzyna Siniarska : C’est notre challenge maintenant de tenir le cap du travail initié durant les années précédentes sous la présidence de Jean-Christophe Simon avec des batailles victorieuses pour Europa International grâce au soutien des exploitants, des distributeurs et des festivals. Nous avons aussi vécu tous ces virages dans notre approche de ce qui est devenu une sorte de cycle des peurs et des espérances en constante fluctuation en fonction de l’évolution permanente de la situation sanitaire. Nous avons dû et nous devons toujours être particulièrement réactifs et flexibles, très conscients des réalités de chaque marché et des espoirs de chaque acheteur, des meilleurs moyens de les aborder et de créer une approche un peu plus durable. Tout a dû être adapté dans un environnement particulièrement fluide. Paradoxalement, rien ne s’est jamais arrêté pour nous, les vendeurs. Il y eu plus de travail, plus de communication, notamment à cause de tous les changements dans le calendrier : pour les sorties, pour les premières mondiales, pour la livraison des films retardés en post-production ou reportant les débuts de tournage. Nous ne pouvions jamais évaluer précisément la dynamique de la demande ni celle de l’offre de films que nous pouvions prendre en mains. Par ailleurs, pendant deux ans, tout cela a surtout impacté les exploitants, les distributeurs et les festivals, mais maintenant, les vendeurs sont aussi en première ligne et nous devons également faire face aux nouvelles réalités. Nous occupons une position légèrement différente, d’intermédiaire, et nous sommes dans ce type de moment où nous devons nous réajuster et revisiter toutes nos stratégies en termes de présence sur les marchés, de dépenses, de manière de présenter les films dans les médias, du genre de visibilité que nous voulons leur donner en lien avec les "trades" et les festivals comme rampes de lancement.

Quid des streamers ? Leur nombre croissant ouvre-t-il aux vendeurs de nouvelles opportunités ou est-ce une source d’inquiétude car leur stratégie et leur volume croissant de production génèrent un risque pour l’accès des vendeurs internationaux aux œuvres ?
K.S. : Cela dépend de chaque streamer évidemment, mais j’ai toujours été persuadée que la soif d’acquisitions que nous avons constatée il y a quelques années de la part de Netflix ou d’autres plateformes n’était une campagne marketing très coûteuse. Il suffit de voir la manière dont le cinéma est traité à travers les algorithmes et comment cela se traduit sur le plan des talents et des contenus de leurs propres productions.

A.L. : Je pense que c’est à la fois une nouvelle opportunité et un grand défi. Il est vrai qu’ils vont produire davantage, mais ils achètent toujours. Ils ont toujours besoin de nous, peut-être pour des typologies de films plus spécifiques, des films plus indépendants, pour lesquels les vendeurs ont un vrai savoir-faire, de la lecture des scénarios aux stratégies de premières en festivals à la création de buzz autour d’une œuvre qui peut-être n’a pas le cast du siècle ou le réalisateur le plus renommé. Nous savons comment faire cela et les streamers nous en sont reconnaissants.

K.S. : En étant optimistes, nous resterons ces sortes de créateurs de goût, des partenaires des plateformes qui considèrent positivement cette valeur supplémentaire que nous créons en lançant les films dans le monde, en les rendant visibles, en aidant les talents à voyager, en faisant émerger de nouveaux noms et de nouvelles voix, ce qui est crucial pour ne pas se perdre dans un brouhaha de communication avec des films abandonnés au milieu de tout cela.

Est-ce que les vendeurs internationaux devront à l’avenir ajouter à leur cœur de métier soit une activité en amont en production ou coproduction, soit en aval en investissant du côté de la distribution ?
K.S.
: Toutes les sociétés de ventes ont des stratégies très discrètes pour faire pivoter ou élargir leurs activités. Certains vont vers le management, d’autres vers la production, le développement, la création de packaging financiers pour les films. Tout dépend évidemment des capacités et des talents attachés à chaque structure. C’est vrai que c’est une tendance, mais il faut être très prudent car nous devons travailler dans un environnement collaboratif et nous ne voulons pas prendre la place des producteurs parce que nous avons besoin d’eux et qu’ils restent actifs et créatifs. Car la diversité, ce n’est pas un slogan vide de sens, c’est un élément crucial dans la création de la culture. Si nous ne voulons pas finir dans un amalgame totalement conformiste de contenus, nous devons avoir des voix artistiques fortes et cela passe impérativement par un environnement de production créatif et diversifié.

A.L. : Faisant partie des Films du Losange qui est à la fois producteur, distributeur et vendeur, même si nous vendons ou distribuons aussi des films que nous n’avons pas produits, je pense que tout dépend de chaque œuvre. Les vendeurs internationaux ont des connaissances très utiles sur les coproductions internationales par exemple, car nous sommes en contact avec des sociétés de qualité partout dans le monde. C’est vrai qu’il peut y avoir des envies de diversification chez les vendeurs internationaux, mais je pense que non seulement notre cœur de métier garde toute sa véritable valeur ajoutée, mais qu’il est aussi important que chacun continue à faire ce qu’il sait faire le mieux car vendre des films dans le monde entier est une activité très prenante qui doit rester le centre de nos objectifs.

K.S. : Nous intervenons tous déjà d’une manière relativement légère en production ou en coproduction, en étant impliqués dès le développement et jusqu’au montage. Un bon exemple récent chez New Europe Film Sales est Lamb [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Valdimar Jóhannsson
fiche film
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pour lequel nous nous sommes engagés sur scénario et sur lequel nous avons travaillé pour compléter le financement en aidant à trouver des partenaires en coproduction. C’est un volet sur lequel nous sommes toujours prêts à intervenir, mais d’une manière symbiotique plutôt qu’en prenant la place du producteur. Surtout, ce qui est important maintenant, c’est de penser à long terme car le court et le moyen terme sont impossibles à prédire.

La couverture de tous les films par les "trades" dans les grands festivals s’est compliquée ces derniers temps. Est-ce un sujet de préoccupation majeure pour les vendeurs ?
A.L. : C’est surtout un sujet pour les vendeurs de films d’auteur car il ne faut pas oublier qu’Europa International représente des sociétés de ventes de toutes les tailles et de tous les genres. Mais pour des compagnies comme New Europe Film Sales, Les Films du Losange ou beaucoup d’autres structures de notre association, c’est un vrai sujet dont nous discutons beaucoup à la fois entre nous, mais aussi avec les directeurs des plus grands festivals. Nous échangeons aussi également avec les "trades" eux-mêmes car nous les connaissons très bien. Tout le monde est d’accord sur le fait que pour un premier long métrage sans gros cast, sélectionné par exemple à la Semaine de la Critique, les "trades" sont extrêmement utiles, tout particulièrement dans le marché actuel avec un embouteillage de films faisant leurs premières en festivals. Pour ce genre de film, il est donc très important que les "trades" soient capables d’attirer l’attention des acheteurs qui sont submergés par le volume de films projetés. Donc c’est un vrai sujet dont nous débattons pour trouver une solution positive avec tous les vendeurs concernés.

K.S. : Pour nous, il est crucial d’avoir des critiques, qu’elles soient favorables ou non, car elles légitiment toujours d’une certaine manière la pertinence d’un film : quelqu’un a fait un effort et a accordé suffisamment d’attention au point de couvrir un film et de publier une critique. Évidemment, se pose la question de savoir si c’est une bascule des lignes éditoriales des "trades" ou si c’est un manque de budget auquel nous pouvons peut-être apporter des solutions, naturellement dans le respect de l’éthique. Nous ne paierons jamais pour une critique, ce serait honteux, mais si c’est une question d’argent, peut-être que peuvent intercéder certaines institutions publiques, certains acteurs neutres de l’industrie qui ne soient pas liés à nous mais qui se rendent compte que c’est une nécessité pour l’existence de films qui sont eux-mêmes soutenus par divers financements publics sur le marché des coproductions européennes.

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