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France

Alexis Mas • Distributeur, Condor Distribution

“Le cinéma d’auteur n’est pas une niche en France, c’est une véritable industrie”

par 

- Le président de Condor Distribution décrit dans quelle mesure son approche particulière en tant que distributeur indépendant en France a été affectée par la situation en 2020 et au premier semestre 2021

Alexis Mas  • Distributeur, Condor Distribution

Nous avons rencontré Alexis Mas, Directeur général de Condor Distribution, qui nous a fait part de sa démarche particulière en tant que distributeur indépendant en France. En 2020, sa société a connu l’une de ses meilleures années en matière d’entrées, et ce, en raison de l’absence de nouveaux films après le premier confinement. Cependant, la situation a radicalement changé après l’annonce de la réouverture le 19 mai, avec des centaines de films en attente.

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Cineuropa : Comment définiriez-vous la ligne éditoriale de votre société ?
Alexis Mas :
Condor Distribution a été créée en 2010 avec une démarche très personnelle. En tant que distributeurs, nous nous concentrons sur le cinéma d’Art et essai étranger, avec 7 à 8 sorties de films par an. Mais d’un autre côté, nous sommes très actifs dans l’édition de films directement sur les plateformes ou en format vidéo. Nous avons une programmation spécifique pour ces fenêtres, avec davantage de films commerciaux ou de films de genre. Cette deuxième programmation nous a d’ailleurs sauvés pendant le confinement, lorsqu’il n’y avait plus d’activités de distribution.

À l’inverse de la plupart des distributeurs en France, vous commercialisez très peu de films français. Cela a-t-il été un choix stratégique depuis le début ?
Nos goûts se portent davantage sur des œuvres étrangères. Nous avons commencé par une programmation asiatique importante. Nous nous intéressons désormais davantage à des films d’auteur européens et américains comme Kelly Reichardt ou Debra Granik. La raison pour laquelle nous distribuons peu de films français est que la plupart sont achetés au stade de l’écriture du scénario, ce qui n’était pas notre philosophie au départ. L’autre raison est que c’est un marché engorgé. Le nombre de distributeurs de films français est important. De plus, le marketing nécessite davantage de temps et d’énergie. Nous faisons de temps en temps l’acquisition de films français, c’est un passage obligé pour vous développer, mais ce n’est pas notre ADN.

Sur un plan plus général, que pensez-vous du marché français de la distribution ?
Le marché français est très cinéphile. Les gens aiment aller au cinéma voir à la fois des superproductions et des films d’auteur. Le cinéma d’auteur n’est pas une niche en France, c’est une véritable industrie. Il y a 30 distributeurs sur ce marché et de nombreux espaces dédiés dans tout le pays. L’autre avantage c’est que cette industrie est règlementée. Le CNC soutient le financement et la distribution des films. C’est un système unique. Après le premier confinement, avec la reprise de ce secteur, tous les pays sont restés bloqués, car les productions hollywoodiennes étaient absentes. Mais en France, nous avons récupéré les deux tiers de la valeur du marché sans films américains, simplement avec des films français et européens. En octobre, peu avant le deuxième confinement, le marché avait retrouvé à peu près la valeur de l’année précédente. C’est une prouesse extraordinaire.

Quelles sont, en revanche, les principales difficultés ?
Face à tous ces avantages, vous avez l’aspect concurrentiel. C’est un marché très engorgé, avec de nombreux acteurs. Même pour un petit festival, nous savons qu’il y aura au moins dix autres sociétés sur le coup. Nous aimons plus ou moins les mêmes choses, ce qui fait grimper les prix. Avant Cannes, il y a généralement des projections privées à Paris, destinées uniquement aux distributeurs, pour présenter les nouveaux films. Lorsque j’y vais et que je constate que les gens aiment, c’est-à-dire qu’ils restent toute la durée de la projection, je sais que ce sera difficile.

Comment voyez-vous votre métier de distributeur ? Quelle valeur apportez-vous au marché ?
Je ne ferais pas ce métier si je pensais qu’il n’était pas un maillon essentiel pour le succès du film. Je pense qu’un bon distributeur peut changer le résultat d’un film. D’ailleurs, tout le monde a besoin d’un distributeur en France pour produire un film. Quand vous cherchez un financement, la première question que l’on vous pose est de savoir qui est votre distributeur. Le problème actuel est qu’en raison de la pandémie, le nombre de films en attente de sortie est important. Il semblerait que les distributeurs ont ralenti le rythme des acquisitions, et tous les producteurs font maintenant la queue pour obtenir notre signature sur leurs projets.

Pourriez-vous nous donner un exemple d’une campagne de promotion réussie pour un film européen ?
Notre plus grand succès a été L’Ombre de Staline [+lire aussi :
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(Agnieszka Holland, 2019). C’était l’an dernier. Nous avons occupé la première place du box-office avec ce film. Nous avons une douzaine d’exemples de ce type, et il y a une raison à cela : comme je vous l’ai dit, le cinéma d’auteur n’est pas une niche ici. Lorsque vous alliez la puissance du marché du cinéma d’auteur au travail des distributeurs chargés de ces films, cela leur donne plus de valeur.

Qu’est-ce qui a rendu cette promotion particulière ? Quel était, selon vous, l’ingrédient secret ?
L’histoire est amusante parce que L’Ombre de Staline est le film qui a failli nous tuer. La sortie du film était prévue courant mars l’an dernier, quelques jours avant le premier confinement. C’était notre film le plus important de l’année, et nous avions dépensé tout notre budget pour la promotion. Nous avons soudainement appris que nous ne ferions aucune entrée, et nous avons failli mettre la clé sous la porte. Nous devons notre survie au soutien de l’État. Au cours des mois suivants, nous avons refusé de nombreuses offres émanant de la télévision et de plateformes. Nous avons décidé d’attendre la réouverture des cinémas. Le confinement a limité notre campagne de promotion pour la première sortie à Paris. Nous avons décidé de faire de ce mauvais sort une opportunité. Nous sommes allés chercher le public avec les affiches qu’ils avaient vu ces trois derniers mois. Au bout du compte, le film a atteint 250 000 entrées, devenant ainsi notre plus gros succès au box-office.

Quelle est la part des recettes de vos films en matière de fenêtres d’exposition ?
Pour un film d’auteur prévu pour une diffusion en salle, la sortie représente environ 70 % des recettes. La part des DVD et de la VOD est très faible, même dans un pays cinéphile comme la France, car les gens ne veulent pas voir ce genre de films à la télé. Cette fenêtre-là est très particulière. Elle est déterminante. Si Canal+ ou ARTE manifestent un intérêt pour l’un de nos films, cela peut faire grimper notre chiffre d’affaires de 20 à 30 %. Dans le cas contraire, nous ne gagnons rien.

Pour l’instant, nous n’avons pas à faire face aux grosses difficultés que rencontrent nos collègues. Le gouvernement nous a demandé de réduire notre stock de films en attente de sortie pour faciliter la réouverture. Cela ne nous pose aucun problème, car nous détenons les droits de nos films. En revanche, les choses sont différentes pour les films français. Là, les distributeurs n’ont que les droits de diffusions en salle et en DVD, mais jamais les droits télé, les choses sont donc plus compliquées.

Que pensez-vous des mesures prises par le CNC et le gouvernement français pour soutenir le marché pendant la pandémie ?
Je pense que c’était très positif. Il y a eu un soutien général de toutes les sociétés, comme le programme de chômage partiel avec une prise en charge d’une partie des salaires. En dehors de ça, nous avons reçu un soutien de la part du CNC à plusieurs niveaux, ce qui a été essentiel pour les sociétés comme la nôtre. Nous avons beaucoup de chance. Je dois admettre que j’en ai parfois assez de cette industrie très règlementée, ceci étant dit, je sais que c’est le prix à payer pour pouvoir bénéficier des autres avantages. Être en mesure de survivre sans aucune sortie en salle, simplement grâce aux aides de l’État et du CNC… ça n’a pas de prix.

Qu’avez-vous pensé du plan de réouverture coordonnée ?
Cette idée n’émane pas du CNC, mais des organisations professionnelles. Nous avons proposé d’avoir un calendrier concerté pour éviter une concurrence féroce. Nous avons été déçus de la réaction de nos collègues. Un grand nombre de distributeurs ont préféré jouer la loi du marché. Après la nouvelle de la réouverture, tout le monde s’est mis à annoncer la sortie immédiate de ses films, donc toutes les promesses d’autorégulation ont disparu. L’idée d’un calendrier concerté est restée lettre morte. Mais les sociétés indépendantes continuent de faire pression pour la création d’une charte éthique, avec des règles simples, pour éviter que les grands groupes occupent tout l’espace dans les salles.

Comment en êtes-vous arrivé à travailler dans la distribution, et à quoi ressemblera demain selon vous ?
J’ai toujours voulu travailler dans un univers créatif. Je ne suis pas un véritable artiste, donc il me fallait trouver quelque chose qui allie créativité et gestion d’entreprise. Pour être un bon distributeur, vous devez bien comprendre la complexité d’un film, qui est une œuvre d’art, mais une œuvre que vous devez vendre au public.

Quant à l’avenir, force est de constater que le monde du streaming est en plein essor, mais ce modèle me laisse perplexe. Les plateformes se livrent un combat acharné pour avoir l’exclusivité. Or les gens ne vont pas souscrire 5 ou 6 abonnements différents pour avoir accès à tout leur contenu. Il va, soit y avoir un genre de fusion entre les acteurs, soit une augmentation du piratage. Nous avons récemment mis en place un nouveau modèle avec Amazon, basé sur le partage des recettes, ce qui signifie que nous mettons nos films sur leur plateforme, en assumant les risques et les coûts de promotion, et en cas de succès, nous partageons les recettes. Je pense que ça pourrait être le modèle de demain.

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(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)

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