email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

CINÉMA DU RÉEL 2018

Critique : Rêver sous le capitalisme

par 

- La documentariste Sophie Bruneau a trouvé un angle freudien original pour aborder la question de la souffrance au travail dans le monde moderne

Critique : Rêver sous le capitalisme

Quand le bip du scanner de la caisse-enregistreuse vient hanter votre sommeil, quand vos collègues se métamorphosent en zombies ou en momies, quand vos clients mangent votre cervelle à la cuillère ou quand l’envie de tuer votre patron ou l’impression d’être pulvérisé vous saisit au cœur de la nuit, il est clair que votre activité professionnelle diurne pèse sur votre inconscient à un degré très avancé. Sensibilisée au sujet de la souffrance au travail qu’elle avait déjà abordé dans Ils ne mouraient pas tous, mais tous été frappés (2005), la documentariste française Sophie Bruneau s’est de nouveau emparée de cette question dans la production belge Rêver sous le capitalisme [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
]
qui a été dévoilée en première mondiale et en compétition internationale à Paris, au 40e festival Cinéma du Réel.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)
Hot docs EFP inside

C’est à travers un angle original, inspiré par l’approche du livre Rêver sous le IIIe Reich de Charlotte Beradt, que la réalisatrice dessine en creux le portrait d’une organisation économique moderne pouvant se révéler profondément oppressante, et celui d’un monde urbain où la transparence froide des bâtiments évoque une mise à nu teintée de déshumanisation. Elle a en effet demandé à douze personnes de lui raconter un rêve (virant souvent au cauchemar) lié à leur emploi, mais aussi de tenter de l’interpréter, ce qui amène ses interlocuteurs à identifier les causes de leur mal-être et les tensions réprimées de leur quotidien au travail. Sensations de perte de liberté ou d’isolement, cadences infernales, pressions psychologiques diverses exercées par les chefaillons, poids écrasant des responsabilités, etc., les témoignages successifs composent autant de pièces d’un puzzle dense et sombre cristallisant les angoisses d’individus guettés par l’effondrement, des âmes en peine se demandant finalement à quoi ils servent.

Braquant une petite lampe-torche sur cette zone obscure à la frontière du rêve et de la réalité, Sophie Bruneau réussit à capter l’authenticité de ses 12 témoins (issus de milieux professionnels très divers) en restituant leurs récits sans manipulation au montage. Et si le film est avant tout une œuvre de paroles, la cinéaste a su lui donner une enveloppe visuelle sobrement cinématographique (deux témoins seulement se racontent face caméra, tout le reste étant composé de plans – quasiment tous fixes – de lieux évocateurs et fantomatiques de l’environnement des travailleurs citadins de notre temps) où le son est habilement utilisé pour suggérer ponctuellement par contraste combien l’être humain s’est douloureusement éloigné de la nature et de la vie.

Film politique (produit par Alter Ego Films et Michigan Films), où le microcosme entend éclairer le macrocosme, Rêver sous le capitalisme est un documentaire ne cherchant pas la facilité en termes de rythme et de coups d’éclats de mise en scène, mais dont le fond (intriguant et très intéressant) et la forme (ascétique et maîtrisée) s’unissent parfaitement pour radiographier un pan un peu malade de notre époque.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy